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et il se faisait l’organe de l’admiration publique quand il disait dans son beau langage : « C’est la première fois qu’on ose attaquer les Gaulois; jusqu’à présent, on s’était contenté de les repousser. Les autres généraux du peuple romain regardaient comme suffisant pour leur gloire de les empêcher d’entrer chez nous; César est allé les chercher chez eux. Ces contrées dont aucune histoire n’avait jamais parlé, dont tout le monde ignorait le nom, notre général, nos légions, nos armes les ont parcourues. Nous ne possédions qu’un sentier dans la Gaule; aujourd’hui les limites de ces peuples sont devenues les frontières de notre empire. Ce n’est pas sans un bienfait signalé de la Providence que la nature avait donné les Alpes pour rempart à l’Italie. Si l’entrée en eût été ouverte à cette multitude de barbares, jamais Rome n’eût été le centre et le siège de l’empire du monde. Qu’elles s’abaissent maintenant, ces montagnes insurmontables! Depuis les Alpes jusqu’à l’Océan, il n’y a plus rien à redouter pour l’Italie. »

Ces magnifiques éloges, qu’on a tant reprochés à Cicéron, se comprennent cependant, et, quoi que puissent dire les politiques, il est facile d’expliquer cet entraînement que tant de gens honnêtes et sensés éprouvaient alors pour César. Ce qui justifiait l’admiration sans réserve que causaient ses conquêtes, c’était moins encore leur grandeur que leur nécessité. Elles pouvaient être menaçantes pour l’avenir ; elles étaient en ce moment indispensables. Elles compromirent plus tard la liberté de Rome, mais elles assuraient alors son existence[1]. Ce que des préventions et des craintes, bien légitimes du reste, dérobaient à l’aristocratie soupçonneuse, l’instinct patriotique du peuple le lui faisait deviner. Il comprenait confusément tous les dangers qui pouvaient venir bientôt de la Gaule, si l’on ne s’empressait de la soumettre. Ce n’étaient pas, à vrai dire, les Gaulois qui étaient à craindre, — la décadence avait déjà commencé pour eux, et ils ne songeaient plus à faire des conquêtes, — c’étaient les Germains. Dion a grand tort de prétendre que César semait les guerres à plaisir dans l’intérêt de sa gloire. Quelque profit qu’il en ait tiré, on peut dire qu’il les a subies plus qu’il ne les a provoquées. Ce n’est pas Rome alors qui alla chercher les Germains, mais plutôt les Germains qui venaient hardiment vers elle. Au moment où César fut nommé proconsul, Arioviste occupait une partie du pays des Sequanes et voulait s’emparer du reste. Ses compatriotes, attirés par la fertilité de ces beaux pays, passaient tous les jours le Rhin pour le rejoindre, et il en était venu vingt-cinq mille d’un

  1. M. Mommsen a mis ce fait hors de doute dans le troisième volume de son Histoire Romaine, le plus beau et le plus curieux de tous.