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Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/729

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l’histoire de sa captivité. Prisonnier du roi des Bulgares Joannice, il s’était fait aimer d’une princesse bulgare qui l’avait délivré ; mais il avait deux fois péché, d’abord en cédant à la passion de la Bulgare et ensuite en l’abandonnant ; de là il était tombé entre les mains d’autres barbares, et il avait été vendu sept fois comme esclave. Un jour enfin, il avait rencontré des marchands allemands qui avaient consenti à le racheter, et il était revenu dans sa patrie ; mais il s’était caché dans un ermitage pour expier ses péchés, voulant renoncer à toutes les grandeurs humaines, qui l’avaient rendu si malheureux.

Une fois qu’il eut cédé à l’enthousiasme de ses partisans, l’ermite ne fut plus maître de lui. De Valenciennes, il alla à Tournay, à Lille, puis à Courtrai, à Bruges, à Gand, partout reçu comme le comte de Flandre et comme l’empereur de Constantinople. Il armait des chevaliers, il recevait des ambassadeurs des ducs de Brabant et de Limbourg, des lettres du roi d’Angleterre Henri III, qui lui proposait une alliance contre la France. Il fut même reçu à Péronne par Louis VIII, roi de France, qui le fit asseoir en face de lui, comme étant l’empereur des Latins. C’était là cependant que sa fortune devait échouer. La comtesse de Flandre s’était entendue avec Louis VIII, qui, dès le lendemain de cette réception impériale, fit interroger l’ermite en son conseil comme un vil imposteur, et le convainquit, dit-on, de fraude. Effrayé, le faux Baudoin s’enfuit la nuit suivante. Que devint-il enfin ? Il disparut de l’histoire comme Baudoin lui-même avait disparu autrefois. Cependant un seigneur de Bourgogne, ayant rencontré dans une foire un ménestrel qui avait servi la duchesse d’Athènes, trouva que ce ménestrel ressemblait au faux Baudoin qu’il avait vu à Péronne. Il le fit arrêter et le céda pour 400 marcs d’argent à la comtesse de Flandre, qui le fit pendre aux halles de Lille. Le ménestrel était-il l’ermite ? Était-ce l’ermite qui fut pendu ? Le gibet décida la question et fit parler le supplicié, qui déclara à ceux qui étaient chargés de l’entendre « qu’il était un pauvre homme qui ne devait être ni comte, ni roi, ni duc, ni empereur ; ce que je faisais, dit-il, je le faisais par le conseil des chevaliers, des dames et des bourgeois de ce pays[1]. »

Voilà le récit de l’historien ; il est dur et impitoyable ; il croit qu’il y a eu une intrigue et une imposture, et il en raconte sans scrupule le misérable et juste dénoûment. Le roman s’arrange mieux pour nous émouvoir ; il croit au faux Baudoin. « Quand Saladin devint soudan, il délivra tous les prisonniers chrétiens que son père avait tenus en prison, et aussi Baudoin fut délivré. Saladin le

  1. Histoire de Flandre, tome Ier, p. 225.