Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/730

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fit vêtir honorablement et lui donna un vaisseau bien appareillé pour passer la mer ; » mais ce vaisseau qui portait Baudoin et sa mauvaise fortune ne devait point arriver au port : « il fit naufrage, et tout le monde périt, excepté Baudoin, à qui c’eût été miséricorde qu’il se noyât avec les autres, car sa fille plus tard le fit pendre cruellement en la ville de Lille. » Baudoin donc, après son naufrage, trouva un marchand qui s’en allait à Marseille ; il le supplia qu’il voulût bien l’y mener pour l’amour de Dieu, car il ne pouvait pas payer son passage. À Marseille, le marchand débarqua Baudoin et lui donna dix sous par aumône ; puis Baudoin tant chemina en demandant sa vie, qu’il arriva à Tournay, en Flandre : c’était en l’an 1209, environ le jour de l’Ascension. Il n’était vêtu que d’une pauvre cotte par-dessus son pourpoint ; il portait un bourdon en sa main et cachait son visage sous son chaperon, afin de ne pouvoir pas être reconnu. Baudoin rencontra un homme de la ville et lui demanda qui en était prévôt. « On lui dit que c’était Richard Duparc et on lui montra sa maison. Baudoin y alla tout droit et dit au prévôt : « Aussi vrai que je crois en Dieu, je n’ai ni or, ni argent ; donne-moi un repas, car il y a deux jours que je n’ai pas mangé la moitié de ma suffisance. — Eh bien ! vous mangerez chez moi assez et largement, pour l’amour de Dieu d’abord, et ensuite parce que vous ressemblez beaucoup à un homme qui m’a fait beaucoup de bien dans ma jeunesse et qui s’appelait le comte Baudoin. — Par ma foi, dit Baudoin, c’est moi. » Alors le prévôt fit manger Baudoin devant lui, sur une petite table, le regardant bien attentivement et causant avec lui. Après qu’il eut bu et mangé, comme Baudoin voulait s’en aller, le prévôt lui dit de ne pas se hâter, et qu’il voulait lui parler dans une chambre où personne ne les entendrait. Quand ils y furent : « Prud’homme, dit le prévôt, je te conjure par le nom de Dieu et de la vierge Marie que tu me dises ton nom et le pays d’où tu viens et d’où tu es. — Par ma foi, dit Baudoin, vous en savez le vrai. Je suis le comte Baudoin de Flandre. Autrefois je partis pour Jérusalem et j’allai à Rome pour avoir l’absolution de mes péchés, puis à Constantinople, où je vainquis le sultan Aquilan et où j’épousai l’impératrice, qui ne vécut guère, et Dieu lui fasse miséricorde ! Devant Jérusalem, je fus trahi par le comte de Blois. Le soudan Saladin lui fit couper la tête pour la trahison qu’il avait faite, et moi je fus tenu en prison pendant quinze ans[1]. »

Baudoin alors conta toute son affaire au prévôt. Il lui demanda

  1. Ailleurs le roman parle de vingt-cinq ans de captivité. Il ne faut pas demander de chronologie aux légendes. La prise de Constantinople par les croisés est de 1204, at le roman met le retour de Baudoin en Flandre en 1209 ; cependant il parle d’une captivité de quinze ou vingt-cinq ans.