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aussi ce que faisaient ses deux filles et comment il pourrait ravoir sa seigneurie. Lorsque le prévôt eut entendu le récit du comte, il se mit à pleurer, et, se jetant à ses pieds, il lui dit que c’était Jeanne sa fille qui était comtesse de Flandre, et qu’elle avait épousé le comte Ferrand. Comme il y avait lieu de craindre que les filles du comte ne voulussent pas lui rendre sa seigneurie, il fut convenu avec le prévôt de Tournay que le comte Baudoin attendrait qu’à la Saint-Jean d’été Ferrand, le mari de la comtesse Jeanne, assemblât à Lille sa baronie. C’était là que Baudoin se présenterait pour revendiquer sa seigneurie, et jusque-là l’existence de Baudoin serait tenue en grand secret. « Mais il y eut une jeune fille de dix ans en l’hôtel qui était couchée sur un lit qui entendit tout ce que Baudoin et son père avaient dit. Elle vint à sa mère et lui dit : « Madame, cet homme qui est venu aujourd’hui céans a été jadis comte de Flandre. Il se nomme Baudoin, dit qu’il vient d’outre-mer, où il a été emprisonné quinze ans, et il dit qu’il r’aura sa terre s’il peut. — Beau sire Dieu, dit la mère, soyez-en béni ! C’est le bon comte qui aimait tant mon mari ! » Elle ne se put tenir qu’elle ne le dît à ses commères, et ainsi de l’une à l’autre le fait se répandit, et c’était le bruit commun de toute la ville de Tournay. »

« En ce temps-là, la comtesse Jeanne était à Lille en Flandre ; la chose lui fut contée. Alors, très dolente et très courroucée, elle envoya un messager au prévôt de Tournay, en le priant de venir la trouver, disant qu’elle avait beaucoup à faire avec lui. Le prévôt vint, et la comtesse Jeanne lui dit : « Prévôt, je vous aime très loyalement, et si je vis longuement, je ferai de vous un des plus riches hommes de ce pays. Je vous ai envoyé quérir, parce que l’on m’a dit que vous aviez chez vous mon père, qui, il y a longtemps, est allé combattre les Sarrasins, et je veux, prévôt, que sur cela vous me disiez la vérité. — Madame, dit le prévôt, je ne sais rien, sinon que j’ai en mon hôtel un prud’homme qui vient d’outre-mer, sans or ni argent, et je l’ai beaucoup questionné sur votre père ; mais il m’a juré qu’il n’en savait rien. — Prévôt, dit la dame, vous avez tort, et ne me cachez rien. Je sais en vérité que c’est mon père, et je vous promets qu’il r’aura sa terre ; mais comme le comte Ferrand est en ce moment chez les Frisons, je veux parler à mon père avant le retour de mon mari. Je vous prie donc de me l’amener promptement, en le faisant changer de nom et lui faisant prendre celui de Bertrand de Rays, afin qu’il ne soit pas connu, car Ferrand est tellement aimé des grands et des petits que l’on pourrait bien tuer mon père pour l’amour de Ferrand. » — La dame disait tout cela par trahison, pour que le prévôt fût disposé à lui amener son père. Le prévôt retourna chez lui et persuada à Baudoin de venir à Lille