Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/741

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la noise, l’un brait et l’autre crie. » Eh ! Dieu ! dit la reine, que peut être ceci ? Je crois que nos gens sont battus et que les Sarrasins ont pris la ville. Si j’ai perdu mon seigneur, c’en est fait de toute joie pour moi ! Et aussi je suis en inquiétude pour mon enfant. Où sont mes femmes ? et pourquoi m’ont-elles laissée ainsi seule ? » Aux cris de la reine, les femmes accoururent qui lui dirent : « Hélas ! madame, pourquoi vous écriez-vous ainsi ? » Mais il y avait là une jeune fille sans expérience qui se mit à lui conter comment l’enfant était perdu. À cette nouvelle, la reine s’évanouit sur son lit, et quand elle fut revenue, elle dit : « Ah ! monseigneur saint Jean-Baptiste, vous me rendrez un jour mon enfant que j’ai baptisé de votre nom ! Je le confie jusque-là en votre garde ! » Après longues années, il arriva que la reine revit son enfant, elle en eut la joie ; mais son père ne le revit pas. »

Cette scène de l’enlèvement de l’enfant est belle et touchante. La vie de Tristan dans la légende répond à ce commencement. Élevé par le soudan comme s’il était son fils, il devient dès sa jeunesse un grand et fort guerrier. Il défait le roi de Damas qui attaquait le soudan ; c’est toujours la vieille lutte entre le Caire et Damas, entre l’Egypte et la Syrie. Puis, à la tête de cent mille Sarrasins, il débarque à Brindes et envahit le royaume des Deux-Siciles. Charles d’Anjou, frère de saint Louis, marche contre lui, et l’oncle et le neveu se livrent sans se connaître de terribles batailles. Enfin ils conviennent de décider leur querelle dans un combat singulier. Ce combat dure longtemps et est interrompu par un grand orage, pendant lequel un ange, descendant du ciel, révèle aux combattans leur parenté. Tristan, sachant qu’il est fils de saint Louis, quitte les Sarrasins et s’en va à Rome, où le pape lui donne l’absolution de ses péchés. De là Charles de Valois conduit Tristan en France, à Paris, et dit au roi de France, Philippe le Hardi, que Tristan est son frère aîné. Philippe alors veut lui céder la couronne ; mais la reine-mère et les barons s’y opposent. « Voulez-vous donc, dit la reine à Charles d’Anjou, que mon fils soit déclaré déchu du royaume ? — Par Dieu, dit Charles de Sicile, je suis bien informé de Dieu, madame. » Et il conta à la reine tout ce que l’ange lui avait dit. « Certes, dit la reine, je vous crois ; pourtant mon cœur ne sera pas assuré que Tristan est mon fils, si je n’en ai des signes plus certains et que je connais. — Madame, dit le roi de Sicile, faites en votre plaisir, car toujours aux femmes il faut faire leur volonté. » Alors la reine appela Jean Tristan et lui dit : « Si vous êtes mon fils, je le connaîtrai bien, car Jean, mon fils, apporta une croix vermeille sur l’épaule droite. — Par ma foi, dit Jean Tristan, j’ai encore la croix, et vous pouvez la voir clairement. » Sur quoi, se dépouillant des épaules