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droit d’en appeler à l’avenir. Quand je compare le Barbier de Séville de Rossini au Barbier de Paisiello, je vois dans l’œuvre du novateur des trésors d’idées et de formules qu’ignorait le passé. J’en dirai autant du Freyschütz, dont les tendances romantiques ont pu n’être pas goûtées d’un public ayant encore dans ses oreilles les opéras des Weigl, des Müller et des Winter. Maintenant, je vous le demande, tout cela doit-il s’appliquer à M. Richard Wagner? Assurément non. L’auteur de Tannhäuser n’est un révolutionnaire que dans ses théories, car pour sa musique elle ne nous apprend rien que Beethoven et Weber ne nous aient dit et mieux dit. Telle est cette musique aujourd’hui, telle elle sera dans dix ans, dans trente ans. Cette musique n’a point de secrets à vous dérober. C’est ce que je lui reproche. Vous y lisez à livre ouvert ses qualités et ses défauts : qualités, hélas! négatives, défauts sans personnalité, bonne quelquefois, ennuyeuse souvent, inintelligible jamais. L’idée mélodique, lorsque par fortune on l’y rencontre, n’affecte aucun caractère particulier. Cela pourrait être tout aussi bien de Weber et de vous, et passerait inaperçu dans Euryanthe ou le Prophète.

— A la bonne heure, voilà qui est parler! reprit Meyerbeer; puis, après un moment de silence, il ajouta en souriant : Seulement je me demande ce que deviennent avec un tel langage vos hésitations et vos scrupules de tout à l’heure?

— Vous le voyez, j’en fais bon marché.

— Oui,... dans le tête-à-tête.

— Me reprocherez-vous de n’avoir pas le courage de mon opinion? N’en croyez rien. Plus cette musique m’ennuie, moins il me semble convenable d’intervenir dans les questions qu’on s’amuse à susciter à son propos : il ne faut jamais être dupe de certaines piperies d’achalandage; mais à quoi bon, quand vous ne ressentez en somme que la plus profonde indifférence, aller vous prononcer en public contre un homme qui après tout sait son affaire?

— En êtes-vous bien sûr qu’il sache son affaire? murmura Meyerbeer en m’interrompant avec malice.

— Dame! je le supposais.

— Qui vous l’a dit?

— Un tel, répondis-je en lui citant le nom d’un compositeur d’outre-Rhin dont les aimables partitions courent depuis quelque temps l’Europe.

— Ah! c’est un tel qui vous l’a dit, continua Meyerbeer avec une expression de visage où la plus fine ironie se mêlait à l’imperturbable autorité du maître. Et, permettez-moi de vous le demander, en êtes-vous donc bien certain qu’il la sache, lai, un tel, son affaire?

Revenons à ce traité de l’Africaine ratifié au nom de l’empereur par le maréchal Vaillant. C’est la seconde fois depuis la mort de Meyerbeer que je vois rendre à sa mémoire un de ces témoignages officiels. Aujourd’hui le second de ces hommages lui vient de la France; le premier, ce fut la