Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/831

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échange avec le maréchal de Noailles, un peu étonné de cette inaction. Maurice a tracé son plan et il s’y tient, dût-il déplaire au roi, au comte d’Argenson, à toute la cour, dût-il même encourir les reproches de son vieil ami, l’impétueux maréchal de Noailles. Il veut s’établir fortement sur son terrain, n’avancer que pied à pied et ne frapper qu’à coup sûr. Il écrira un jour au roi de Prusse : « Les Français sont ce qu’ils étaient du temps de César et tels qu’il les a dépeints, braves à l’excès, mais inconstans, fermes à se faire tous tuer dans un poste, mauvais manœuvriers en plaine… J’en tire le parti que je puis, et je tâche de ne rien donner de capital au hasard. » Depuis cette époque, et chaque fois qu’ils ont eu à leur tête des manœuvriers de génie, les Français ont prouvé qu’ils n’étaient pas de mauvais manœuvriers en plaine ; Maurice, en signalant nos défauts, avoue ce qui lui manque à lui-même. Qu’importe ? il a tiré parti et de ses troupes et de ses facultés propres ; bien plus, il a su contenir sa témérité naturelle pour ne pas exposer aux retours de la fortune les grands intérêts dont il était chargé. Aussi que voit-on de Fontenoy à Maastricht ? Une série d’opérations constamment heureuses, sièges, combats, prises de villes, conquêtes de provinces, et au milieu de tant de succès de détail deux grandes batailles rangées, deux victoires qui soutiendront la gloire de Fontenoy, si bien que l’opinion publique, déjà si éveillée cependant, oubliera dans sa joie les maux d’une guerre absurde, l’épuisement de nos ressources, le dépérissement du pays, et que cette noble France, tout en marchant vers l’abîme où la pousse la vieille monarchie, fera retentir pendant trois ans comme un perpétuel Te Deum,

Tournay s’était rendu quelques jours après la victoire de Fontenoy (22 mai 1745) ; la citadelle, construite par Vauban à l’époque où nous possédions la Flandre, ne tarde point à suivre l’exemple de la ville. Défendue avec vigueur par une garnison austro-batave, elle est obligée de capituler le 19 juin. Trois semaines plus tard, Gand est enlevé en quelques heures. Vainement les alliés ont-ils envoyé un corps de six mille hommes pour protéger la ville ; le comte Du Chayla, sur les indications de Maurice, coupe le chemin à l’ennemi, l’arrête, le disperse, tandis que le comte de Lowendal, ami et disciple du comte de Saxe, renouvelle sous les murs de Gand la merveilleuse escalade de Prague. Même rapidité dans l’exécution, même humanité après le triomphe : à peine quelques hommes tués dans la petite troupe du comte, et toute une garnison prisonnière ; une grande ville abandonnée au vainqueur, et nul pillage, nul désordre. Il est évident que le comte de Lowendal, au moment où il commence une carrière nouvelle sous les drapeaux de la France, se souvient du premier exploit par lequel Maurice s’est illustré en Bohême. Pourquoi donc oubliera-t-il si tôt ce grand exemple ? Pourquoi