Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/833

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après ces trois mois de succès, résultats de la journée de Fontenoy, le roi était reparti pour Paris le 1er septembre, laissant le maréchal de Saxe continuer ses conquêtes. Pourquoi, dès ce moment, voit-on une sorte d’inaction subite au quartier-général ? Maurice ignore-t-il donc qu’il est entouré d’envieux et qu’il va fournir des armes à ses ennemis ? Tant que le roi était au camp, il fallait bien que le maréchal donnât signe de vie ; le roi n’y est plus, que devient ce vainqueur agonisant ? Excellent texte à développer pour des gens de cour. Cet esprit de méchanceté qui était alors le génie des hautes classes, cet esprit que le poète Gresset allait représenter sur la scène et que d’Argenson met à nu dans son Journal[1], trouvait là une proie toute préparée. — Ses débauches l’ont tué, disaient les uns ; son corps s’affaisse et sa tête déménage. — Il veut prolonger la guerre, disaient les autres, une guerre commode aux chercheurs d’aventures ; des forces supérieures, des succès faciles,… en ménageant les choses, cela peut durer longtemps. — Louis XV, après la victoire de Fontenoy et pendant les succès qui suivirent, avait comblé Maurice de ses faveurs : sans parler des privilèges de cour, du droit d’entrer au Louvre en carrosse, du droit de séance sur un tabouret devant leurs majestés et les enfans de France, droits accordés au maréchal de Saxe ainsi qu’à la dame son épouse, s’il venait à se remarier, et qui devaient passer à l’aîné de ses enfans et descendans mâles nés en légitime mariage, sans parler, dis-je, de ces privilèges, si enviés dans ce monde-là, mais auxquels Maurice ne tenait guère, le roi lui avait donné une pension annuelle de 40,000 livres, auxquelles s’ajoutèrent bientôt les 120,000 livres du gouvernement d’Alsace, laissé vacant par la mort du maréchal de Broglie. C’est aussi à cette époque qu’il lui fit don du château de Chambord avec toutes ses dépendances. Quels sujets d’envie pour tant de courtisans rapaces ! Jamais la corruption des mœurs, la prodigalité fastueuse, n’avaient engendré pareilles convoitises. Princes du sang, haute noblesse, maréchaux, ducs et pairs, tous mordaient à belles dents sur le trésor public : véritable curée dont plusieurs témoins, coupables eux-mêmes, nous révèlent aujourd’hui les scandales. Excepté le maréchal de Noailles, un des plus acharnés pourtant, s’il faut en croire le marquis d’Argenson, à ce pillage de la France, tous les grands seigneurs du temps enviaient la fortune de Maurice et se déchaînaient contre lui. À leur tête s’agitait un des chefs de la maison de Condé, le prince de Conti, esprit hautain et brouillon, intelligence médiocre surmenée à tort et à travers par une ambition sans limites. On le verra bientôt entrer en lutte ouverte

  1. « Cette sagacité alerte qui découvre le ridicule, qui le saisit, qui exprime légèrement sa critique, est le génie et la supériorité du temps. » Journal et Mémoires du marquis d’Argenson, publiés par M. Rathery, t. V, p. 86 ; Paris 1863.