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avec le maréchal de Saxe ; on verra le maréchal lui tenir tête, le vaincre, le chasser du théâtre de la guerre, et provoquer ainsi une haine qu’il paiera peut-être de sa vie en ce duel mystérieux du bois de Chambord dont la tradition a conservé le souvenir. Or nous voici à l’heure où les hostilités commencent ; le prince de Conti croit le moment favorable pour désarçonner ce général hydropique qui ne donne plus signe de vie. Puisque le comte Maurice n’ose poursuivre les conquêtes du roi[1], qu’il aille se faire soigner à Chambord ! Malheureusement le prince de Conti et ses partisans n’étaient pas les seuls à parler de la sorte ; c’était l’opinion du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères, sincère ami du bien de l’état et attentif à tout ce qui pouvait aggraver les maux de la monarchie ; c’était l’opinion du comte Loss, ministre de Saxe auprès de la cour de Versailles, observateur habile et fort impartial en cette question, puisqu’il s’intéressait non pas aux triomphes de la France, mais au succès personnel de Maurice. Nous voyons dans les dépêches du comte Loss qu’il est fort étonné, comme tout le monde à Versailles, de l’inaction du vainqueur de Fontenoy. Faut-il croire que les souffrances de Maurice avaient ralenti son ardeur ? Nullement ; un secrétaire du comte Loss, qui visita le maréchal à cette époque, écrit que le comte Maurice ne souffre plus qu’à la main droite, et que d’ailleurs, au plus fort de son mal, l’intelligence est restée chez lui aussi nette, la volonté aussi ardente que jamais. Est-ce donc qu’il voulait prolonger la guerre, comme l’en ont accusé les partisans de la paix ? Je ne le crois pas davantage. Ses lettres au maréchal de Noailles et au roi de Prusse nous le montrent préoccupé du seul désir de ne pas compromettre par une imprudence les brillans résultats de la campagne. Dès le lendemain de Fontenoy, il s’est tracé le plan auquel il veut demeurer fidèle. Son système, bon ou mauvais, mais loyalement conçu, était de briser la première ligne de défense des Pays-Bas autrichiens, et une fois cette frontière reprise sur la coalition européenne, une fois maître des places fortes entre Tournay et Ostende, de s’y établir solidement pour garder nos conquêtes. En s’avançant trop vite, on

  1. Les courtisans étaient d’accord pour attribuer au roi, au roi tout seul, les conquêtes des mois de juin, juillet et août 1743 ; Voltaire lui-même ne tient pas un autre langage dans son Précis du siècle de Louis XV. L’opinion publique considérait les choses sous un jour bien différent. L’annaliste Barbier, interprète fidèle du tiers-état, c’est-à-dire de la bourgeoisie et de l’armée, voit partout la main du comte de Saxe. Projets et dispositions, tout lui appartient. La prise de Gand, d’Oudenarde, d’Ostende, de Nieuport, ce n’est pas seulement l’œuvre des lieutenans inspirés par lui, c’est la sienne. À chaque victoire, à chaque surprise. Barbier s’écrie : « Un nouveau coup du comte de Saxe ! » Il est bon de noter cette confiance de l’opinion, qui expliquera la fière attitude de Maurice en face des cabales princières, des intrigues ministérielles, et qui obligera le roi lui-même, si souvent froissé par la rudesse du maréchal, à plier devant lui.