Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/854

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de septembre, a eu la faiblesse de le nommer généralissime de ses armées. Le voilà donc placé au-dessus du vainqueur de Fontenoy et de Raucoux. Maurice jette les hauts cris. Où est la justice ? où est la hiérarchie du mérite et des services rendus ? Le roi sans doute peut accorder à qui bon lui semble toutes ses préférences personnelles et toutes les grâces de cour ; si le titre de généralissime des armées du roi n’est qu’un vain mot, il peut le donner dès le berceau à tous les princes du sang ; attribué à un prince qui ose se porter son rival, ce titre aux yeux de tous est bien un titre militaire, et les récompenses militaires doivent être réservées « à ceux qui, en gagnant des batailles, font la gloire du règne et le salut de la nation[1]. » M. de Valfons, le spirituel aide-de-camp qui avait si bien réconcilié Maurice avec le comte de Clermont, essaya d’apaiser aussi la lutte qui allait éclater entre le vainqueur de Raucoux et le ministre de la guerre. Maurice était convaincu, et la suite des choses lui a donné raison, que le comte d’Argenson était l’homme du prince de Conti. Le comte d’Argenson, fin et faux comme un renard, voulait servir le prince de Conti sans se brouiller ouvertement avec le maréchal de Saxe. Le moment n’était pas encore venu de lui porter une botte secrète. Dans ces sièges de cour, on ne monte pas si vivement à l’assaut ; il faut que la mine et la sape fassent longtemps leur œuvre souterraine. Valfons, dupe des protestations du ministre, finit par lui amener son général, bien que celui-ci eût annoncé l’intention de faire un éclat et de ne pas mettre les pieds chez lui. Ne dites pas que ce sont là des minuties ; il y a des époques où ces événemens de cour pèsent d’un grand poids dans la destinée des peuples. Il n’a tenu qu’à un fil que le maréchal de Saxe, en face de l’Europe coalisée, abandonnât l’armée dont il avait relevé le courage et la fortune. Je n’hésite donc pas à reproduire ici un épisode révélé seulement il y a quelques années, et qui ajoute des traits intéressans à la physionomie de Maurice. C’est M. de Valfons qui parle ; la scène est à Fontainebleau, peu de jours après l’arrivée du vainqueur de Raucoux :


« ….. À minuit, je me mis en faction dans la cour des Fontaines, où donnait l’appartement de Mme de Pompadour, pour guetter la sortie du maréchal, qui ne parut qu’une heure après, seul et sans laquais ni flambeau. Il faisait obscur, et il y avait quelques marches à descendre ; je lui tendis la main pour l’aider. — Qui est là ? — Valfons, monsieur le maréchal. — Quoi ! si tard, dans l’obscurité… Que faites-vous ici ? — J’y veille sur vous, monsieur le maréchal ; c’est l’occupation la plus douce de ma vie. — Eh bien ! donne-moi le bras, j’en profiterai jusqu’à mon appartement.

« En marchant, je lui dis : — On vous a sûrement bien reçu et bien ca-

  1. Souvenirs du marquis de Valfons, p. 199. Voyez aussi ces plaintes de Maurice dans les Mémoires du duc de Luynes, t. VIII, p. 26.