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royales et divertissemens populaires. Le 12, la dauphine avait déjà gagné tous les cœurs ; sa bonne grâce, sa simplicité, sa gaîté naïve, avaient triomphé des préventions qui l’attendaient à l’épreuve, et Maurice de Saxe ne s’exprimait pas en courtisan lorsqu’il écrivait au roi de Pologne le récit de ces brillantes journées. La lettre de Maurice (nous la devons aux archives de Dresde) contient des détails curieux pour l’histoire des cérémonies royales sous l’ancien régime. L’annaliste Barbier nous avait appris déjà des choses singulières à propos de la réception de la dauphine à Choisy. « Cette entrevue, dit-il, se fait en plein champ, sur un tapis et un carreau mis sur la terre. » Puis, après avoir mentionné l’entrevue qui eut lieu le mardi 7 février, en plein champ, au-delà de Corbeil, il nous conduit à Versailles, où le mariage fut célébré le 9 au milieu des plus somptueux galas. Ce qu’il ne dit pas, et ce qu’un témoin seul pouvait raconter, ce sont les cérémonies secrètes. Écoutons celui qui fut chargé de rassurer la jeune princesse au moment le plus terrible.


« Je n’aurais pas de peine à dire des vérités agréables à votre majesté sur le compte de Mme la dauphine, et la renommée me servira de garant. Cette princesse a réussi ici on ne peut mieux, elle est adorée de tout le monde, la reine l’aime comme ses propres enfans[1], le roi en est enchanté, et M. le dauphin l’aime avec passion. Elle s’est démêlée de tout ceci avec toute l’adresse imaginable ; je n’ai su que l’admirer. À quinze ans, il n’y a plus d’enfans dans ce monde-ci, à ce qu’on dit, et en vérité elle m’a étonné. Votre majesté ne saurait croire avec quelle noblesse, quelle présence d’esprit Mme la dauphine s’est conduite ; M. le dauphin paraissait un écolier auprès d’elle. Aucune faiblesse ni enfanterie n’a paru dans aucune de ses actions, mais une fermeté noble et tranquille, et certes il y a des momens où il faut toute l’assurance d’une personne formée pour soutenir avec dignité ce rôle. Il y en a un entre autres, qui est celui du lit, où l’on ouvre les rideaux lorsque l’époux et l’épouse ont été mis au lit nuptial, — qui est terrible, car toute la cour est dans la chambre, et le roi me dit, pour rassurer Mme la dauphine, de me tenir auprès d’elle. Elle soutint cela avec une tranquillité qui m’étonnait, M. le dauphin se mit la couverture sur le visage, mais ma princesse ne cessa de me parler avec une liberté d’esprit charmante, ne faisant non plus d’attention à ce peuple de cour que s’il n’y avait eu personne dans la chambre. Je lui dis en l’approchant que le roi m’avait ordonné de m’approcher d’elle pour rassurer sa contenance et que cela ne durerait qu’un petit moment. Elle me dit que je lui ferais plaisir, et je ne la quittai et ne lui souhaitai la bonne nuit que lorsque ses femmes ont refermé les rideaux et que la foule fut sortie. Tout le monde sortit avec une espèce de douleur, car cela avait l’air d’un sacrifice, et elle a trouvé le

  1. Il y avait là un sujet d’inquiétude pour le roi de Pologne, comme il y avait eu pour le roi de France un motif d’hésitation au moment de faire son choix. On craignait que la reine ne fît pas un bon accueil à une princesse de Saxe : Marie-Josèphe était la fille du souverain qui avait enlevé le trône de Pologne au père de Marie Leczinska.