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moyen d’intéresser tout le monde pour elle. Votre majesté rira peut-être de ce que je lui dis là, mais la bénédiction du lit, les prêtres, les bougies, cette pompe brillante, la beauté, la jeunesse de cette princesse, enfin le désir que l’on a qu’elle soit heureuse, toutes ces choses ensemble inspirent plus de pensées que de rires. Il y avait dans la chambre tous les princes et princesses qui composent cette cour, le roi, la reine, plus de cent femmes couvertes de pierreries et d’habits brillans. C’est un coup d’œil unique, et, je le répète, rien n’a plus l’air d’un sacrifice…

« Avant-hier, je fus au souper, où Mme la dauphine ne mangea point. M. le dauphin me dit qu’elle n’avait pas dîné, et hier elle n’a pas mangé de tout le dîner. C’est la grande fatigue qui en est la cause, et j’ai dit au roi que, si on ne lui procurait pas du repos, elle tomberait malade. Effectivement, je ne sais comment elle a pu y résister. J’en suis sur les dents de l’avoir suivie. Il fait une chaleur, partout dans les appartemens, qu’il y a de quoi en mourir, par la grande quantité de monde et de bougies le soir. Avec cela, ses habits ont été d’un poids que je ne sais comme elle a pu les porter. Ce qu’il y a de plus fatigant encore, ce sont toutes les présentations qui ne finissent point, et elle veut retenir tous les noms, ce qui fait un travail d’esprit terrible, sans cesse occupée d’ailleurs de plaire et d’attentions ; cela fait un labeur si considérable que je ne sais pas comme elle y résiste. Le roi me fit prendre l’autre jour sa jupe, qui était sur un canapé, pendant que Mme la dauphine était à sa toilette ; elle pesait bien soixante livres. Il n’y a aucune de nos cuirasses qui en pèse autant. Je ne sais pas comme elle a pu tenir huit ou neuf heures sur ses pieds avec ce poids énorme…[1]. »


Quelques semaines après (31 mars), Maurice retournait à Bruxelles, et, traçant un plan de campagne à ses lieutenans, s’emparait de la Flandre hollandaise. Lowendal, Contades, Montmorin, exécuteurs intelligens des conceptions du chef, achevaient cette conquête dans l’espace d’un mois (15 avril-16 mai). Tout se préparait pour une bataille. Le duc de Cumberland à la tête de l’armée anglaise, le prince de Waldeck et le maréchal Bathiany à la tête des Autrichiens, voulaient prendre leur revanche de Fontenoy et de Raucoux, tandis que Louis XV, plein de confiance dans les dispositions du maréchal, était avide de partager une seconde fois avec lui l’honneur d’une grande victoire. Peut-être des raisons d’état ve-

  1. La protégée de Maurice, la princesse à qui M. d’Argenson ne demandait guère autre chose que de donner des héritiers au trône de France, a été la mère des trois souverains avec qui s’est écroulée par trois fois la dynastie des Bourbons de la branche aînée (1792, 1815, 1830) ; Louis XVI, Louis XVIII, Charles X, sont les fils de Marie-Josèphe. Un an et demi après ce mariage du dauphin et de Marie-Josèphe naissait une fille du maréchal, Aurore de Saxe, qui devait être la grand’mère du plus illustre romancier de nos jours. Nous raconterons plus tard ces aventures. Bornons-nous à noter aujourd’hui le singulier rapprochement qui s’offre de lui-même à la pensée. Puisque Louis XVI, par les liens du sang, est le petit-neveu de Maurice de Saxe, l’auteur du Marquis de Villemer est la petite-cousine de Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X.