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tambours ont mis leurs caisses sur le dos, aimant mieux jouer du sabre. Pas un coup à négliger, pas un instant à perdre. Quand nous tiendrons Lawfeld, l’artillerie, à qui nous frayons le chemin, aura bientôt foudroyé Cumberland. Merveilleux coup d’œil du comte de Saxe, merveilleux effet de cette charge toute française où le soldat et le général ne font qu’un ! « Dans ce moment, dit-il, les ennemis qui soutenaient le combat dans le village, entendant tirer derrière eux, abandonnèrent les haies ; nos troupes, qui les attaquaient par l’autre extrémité, les suivirent, et dans un instant toute la bordure du village fut occupée par notre infanterie avec des cris et un feu épouvantables. La ligne des ennemis en fut ébranlée. Deux brigades de notre artillerie qui m’avaient suivi se mirent à tirer, ce qui augmenta le désordre. Il nous était arrivé sur la gauche deux brigades de cavalerie ; j’en pris deux escadrons et ordonnai au marquis de Bellefonds, qui les commandait, de pousser à toutes jambes dans l’infanterie ennemie, et criai aux cavaliers : « Comme au fourrage, mes enfans ! » Ils le firent… » Ce fourrage au milieu de la colonne qui ravitaillait sans cesse les fortifications naturelles de Lawfeld produisit une énorme trouée, une trouée de deux mille pas, dans les lignes anglaises. « Mes deux escadrons, ajoute Maurice, furent passés par les armes, et il n’en revint presque personne ; mais mon affaire était faite[1]. » Hélas ! à quel prix ? Pendant les cinq heures que dura l’attaque du village (de dix heures du matin à trois heures), que de braves gens, de part et d’autre, avaient reçu la mort pour une guerre sans motif ! Quelle tuerie effroyable et doublement effroyable, puisqu’elle ne changeait rien à la situation politique et n’avançait pas d’une heure la conclusion de la paix ! Dix mille hommes avaient mordu la poussière dans l’armée anglaise ; nous en avions perdu plus de cinq mille, et après que nous eûmes conquis ce champ de mort, les vingt-sept mille Autrichiens du comte Bathiany, contenus par notre aile gauche, s’en retournaient paisiblement à Maëstricht sans avoir ni un soldat ni une cartouche de moins. Une faute bien grave venait d’être commise, et Maurice le reconnut plus tard : il y avait une seconde victoire à remporter sur Bathiany après la déroute de Cumberland. Au lieu de réunir ses troupes victorieuses à celles qui contenaient les Autrichiens et d’écraser un ennemi inférieur en nombre, un ennemi déjà démoralisé par l’échec sanglant de ses frères d’armes, il eut le tort de s’arrêter, de vouloir jouir immédiatement de son triomphe, d’aller chercher à Herderen les complimens du roi, et de laisser ainsi au général de

  1. Lettre de Maurice de Saxe au roi de Prusse Frédéric II, citée tout entière par le baron d’Espagnac, t. II, p. 286-297.