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Marie-Thérèse le temps de se retirer en bon ordre. Qui oserait pourtant l’accuser ? C’est pour avoir chargé l’ennemi en soldat que Maurice, vainqueur à Lawfeld, a manqué à son devoir de général ; mais si le général, à l’heure décisive, ne fut devenu le plus fougueux des soldats, aurait-il remporté la victoire ? À la fois ivre et las des émotions de la lutte, il a oublié d’embrasser l’ensemble de la bataille et d’achever ses combinaisons. Un Frédéric, un Napoléon sans doute, n’eussent pas commis cette faute. La victoire de Lawfeld, tout incomplète qu’elle fut, n’en reste pas moins un des glorieux souvenirs de l’infanterie française, une des grandes pages de l’histoire de Maurice.


IV.

Comment le héros de ces beaux jours, après tant de villes prises, tant de batailles gagnées, pouvait-il être l’objet d’accusations si violentes ? Toute cette année 1747, l’année de Lawfeld, nous montre le parti des adversaires de Maurice grossissant de jour en jour et redoublant d’activité furieuse. C’est un siège en règle, la tranchée est ouverte. Maurice est défendu par Mme de Pompadour et les hardis financiers de l’époque, les frères Pâris-Duverney ; il est défendu surtout par ses trois filles, Fontenoy, Raucoux, Lawfeld, et les victorieuses campagnes qui avaient tenu en échec une moitié de l’Europe. L’attaque est dirigée dans l’ombre par le comte d’Argenson, ministre de la guerre, au grand jour par le prince de Conti, la princesse sa mère et tous les ambitieux qui s’attachent à leur fortune. Entre les deux partis est le marquis d’Argenson, témoin désintéressé autant que peut l’être un citoyen toujours dévoué à son pays[1], spectateur attentif, impartial, disant le bien et le mal suivant sa conscience et notant toutes les péripéties de la lutte.

« Qui l’emportera ? — écrit-il au mois de juillet 1747, quelques jours après la victoire de Lawfeld. — Je pense que la menace de quitter du maréchal de Saxe sera un furieux tonnerre dans l’esprit du roi ; le maréchal de Saxe a des façons de parler naturelles au roi[2] qui emportent bien des choses. Je l’ai vu… » Un mois après, il insérait cette curieuse note en ses tablettes : — « 24 août. On avance beaucoup au projet de perdre le comte de Saxe dans l’esprit du roi. Ainsi le courtisan chemine à son but pour placer à la

  1. Il venait d’être remplacé au département des affaires étrangères par le marquis de Pulsieux (février 1747). Le mariage du dauphin avec Marie-Josèphe de Saxe est le dernier acte important de son ministère.
  2. Le marquis d’Argenson, qui a parfois des expressions si vives, écrit souvent à la diable, comme Chateaubriand le dirait de Saint-Simon ; on a besoin d’expliquer son texte pour prévenir les contre-sens. Il veut dire ici : « Le maréchal de Saxe, en s’adressant au roi, a des façons de parler naturelles qui emportent bien des choses. »