Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/903

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peut-être cette préoccupation a-t-elle trop détourné notre attention de ce qui nous entoure et nous serre de plus près. Depuis que les élections de l’an passé lui ont ouvert une ère nouvelle, la France peut songer davantage à elle-même. Son opinion a pris plus de poids et d’influence; elle ne doit même considérer les événemens extérieurs que dans leur réaction sur ses affaires et ses dispositions propres. D’ailleurs, parmi ces événemens, un seul jusqu’à ces derniers temps a rempli la scène, et il a jeté de nouvelles lumières sur notre avenir. La prolongation de la gigantesque lutte américaine nous laisse où elle nous a trouvés. Nos expéditions lointaines, celle même du Mexique, n’ont rien amené de nouveau, et ne nous suggèrent que le désir d’en alléger les charges et d’en abréger les suites. Une seule chose, l’affaire du Danemark, a eu la triple importance d’une guerre, d’une conquête et d’une révolution. Malgré le peu de part que nous y avons prise, le dénoûment pourrait annoncer et préparer un certain changement dans la direction de nos affaires. C’est de ce point de vue que nous envisagerons la situation de notre gouvernement en Europe, pour en venir à l’examen de sa situation en France.


I.

La question danoise n’a jamais eu le don d’émouvoir les masses, et le gouvernement, d’accord en cela avec le public, s’est gardé de l’en inquiéter en manifestant qu’il s’en inquiétât beaucoup lui-même. Sans doute il en était plus occupé qu’il ne le voulait paraître. Nous concevons en tout cas sa retenue; il devait peu parler, n’ayant pas le projet de beaucoup agir, et le système qu’il a suivi, système de réserve et d’abstention, ne pouvait être bruyant. Ce n’est pas le seul qu’on pût suivre, mais il a ses avantages, et il serait oiseux de l’attaquer, quand même on en aurait préféré un différent. Au moins était-il en accord avec les dispositions du pays, nullement porté en ce moment aux entreprises du dehors. Cependant on conçoit plus dans cette circonstance l’abstention que l’indifférence. La question du Danemark était d’un haut intérêt, même pour nous, une de celles qui, mal résolues, portaient le plus naturellement et peut-être le plus légitimement la guerre dans son sein. Je ne dis point qu’on aurait eu raison de l’en faire sortir; tout compte fait, la paix est préférable. Toutefois il n’est nullement prouvé que la guerre fût le terme nécessaire d’une intervention plus active, et précisément parce qu’il en pouvait naître une collision générale, on l’aurait évitée; mais il faut, pour bien apprécier le présent, revenir un moment sur le passé.