Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre comme en France on a fait à l’intérêt supérieur de la paix du monde, et ce sacrifice a été, il faut le dire, approuvé par l’opinion publique; mais personne n’a le droit de prétendre que ce ne fût pas un grand sacrifice.

D’où vient donc que des puissances du premier ordre, que des cabinets auxquels on ne refuse ni l’habileté ni l’énergie, se sont laissé amener ou plutôt pousser, d’échec en échec, de retraite en retraite, à l’abandon de leurs droits, de leurs engagemens, de leurs intérêts? D’un plus grand et plus dominant intérêt qui pèse en ce moment plus que tous les autres sur les déterminations des gouvernemens et des peuples, l’intérêt de la paix du monde. Il faut bien le savoir en effet, malgré les questions contestées qui peuvent encore troubler notre sécurité, malgré des conflits encore subsistans, et quoique dans ces quinze dernières années la guerre ait plus souvent rallumé ses feux que dans les trente précédentes, jamais l’esprit pacifique n’a été plus général, plus exigeant; jamais plus de motifs économiques, politiques et moraux ne sont venus en aide à cet amour naturel du repos et de la concorde qui accompagne une grande prospérité. Cet esprit pacifique circule pour ainsi dire dans les veines de la société moderne. Il lutte le plus souvent avec avantage contre les causes d’agitation et de rivalité qui peuvent l’alarmer, et il triomphera souvent, longtemps peut-être, de toutes les inquiétudes qui assombrissent l’avenir du monde.

Ceci n’est en aucun pays aussi vrai qu’en Angleterre, et là est la cause principale qui explique les variations, les incertitudes, et finalement les disgrâces de la politique du cabinet. Lord Palmerston n’a jamais passé pour manquer de résolution. La hardiesse a toujours été le trait distinctif de lord Russell : un mot célèbre et piquant de Sydney Smith a défini sa témérité. Cependant tous deux se sont laissé engager et comme entraîner dans une marche qu’ils ont en d’autres temps reprochée à d’autres. Ils ont consenti presque sciemment à promettre sans tenir, à parler sans agir, à menacer sans frapper. L’Angleterre sans doute avait déjà passé par de telles épreuves. Elle a cédé souvent dans ses démêlés avec l’Amérique. Dans l’affaire de la Pologne, elle s’est exposée à un échec. Épouser publiquement une cause, remontrer à une grande puissance ses devoirs, lui reprocher des fautes, la dénoncer au monde par voie diplomatique, l’accabler de tous les griefs d’un peuple opprimé, encourager ainsi et soutenir ce peuple en étant cependant décidé à ne lui accorder qu’une sympathie stérile, c’est un rôle que la nécessité peut quelquefois imposer à une puissance du premier ordre; mais c’est un rôle pénible, dangereux, humiliant même, et qui finit par n’être pas irréprochable, car on excite par là des espérances et on les trompe; on enhardit ceux qu’on refuse à la fin de