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défendre; on les abandonne au moment où l’on vient d’aggraver leurs périls et leurs maux. Il est cruel de le dire, toute tentative diplomatique en faveur de la Pologne a pour effet presque inévitable de la rendre plus malheureuse et d’affaiblir ceux qui la protègent. On en était là quand il a fallu que l’Angleterre prît un parti pour le Danemark. Il n’était pas tentant de recommencer. Comment faire cependant? Impossible de passer sous silence une si grosse affaire, impossible de laisser sans mot dire mettre en pièces un traité solennel et une vieille monarchie. Il fallait bien réclamer, s’indigner, multiplier les représentations et les remontrances. Or quand on fait de ces choses, si l’on annonçait tout d’abord qu’on n’est pas décidé à les soutenir, ce serait comme si on ne les faisait pas. On ne l’annonce donc point, on laisse des doutes planer sur l’avenir. Ces doutes, on les partage; on se dit que, s’il le faut, si les circonstances s’aggravent, on saura prendre un grand parti, on se souviendra qu’on a des soldats et des vaisseaux. En attendant, on en fait souvenir les autres. C’est ainsi qu’on a persuadé peut-être sans le vouloir au malheureux Danemark qu’il ne serait point abandonné. Les voyageurs sont unanimes à dire que les Danois ont persisté jusqu’au dernier moment à espérer des défenseurs; mais, hélas! les Allemands n’en ont rien cru, et l’aventureux homme d’état à qui les événemens ont donné l’occasion de procurer à la politique prétentieuse, subtile, incohérente et insidieuse de la Prusse un succès longtemps attendu, souvent manqué et toujours odieux, M. de Bismark, a compris de bonne heure qu’il pouvait braver l’Angleterre, et qu’après tout elle ne ferait que murmurer. Apparemment il a compris que lord Palmerston suivrait l’opinion publique, et que l’opinion publique n’exigerait pas la guerre. On pouvait cependant s’y tromper. L’opinion anglaise était en soi contradictoire; elle était, elle est encore vivement danoise et absolument pacifique. C’est ainsi qu’elle a rendu possible, qu’elle a préparé, voulu même ce qui est arrivé, et qu’elle en est mécontente. Elle préfère la paix par goût, même par système; mais le prix auquel elle l’achète l’importune, et elle ne se sent pas fière d’avoir été si raisonnable. Lord Palmerston, qui sent comme elle et peut-être plus vivement, allègue des motifs divers. Il dit souvent que l’Angleterre ne pouvait agir seule, et il rappelle, sans trop s’en plaindre, que la France a décliné toute coopération active. Puis il confie à ses amis, qui le répètent, qu’au fond il s’attendait à la guerre, croyant que l’Angleterre la voudrait au moment suprême, et que c’est elle qui n’a pas voulu. Peut-être dit-il vrai, et s’est-il toujours dans sa pensée intime reposé sur son pays de la décision; mais il est rare qu’une nation prenne une telle initiative, il n’est pas d’un grand gouvernement de la lui laisser prendre. C’est à lui de vouloir pour elle, et