Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/913

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dans cette occasion la nation aurait suivi le cabinet. Oui, l’Angleterre est comme passionnée pour la paix. Jamais des intérêts plus grands et plus impérieux ne l’y ont attachée. En sus de ses intérêts, ses idées l’éloignent de la guerre. Tout le pays n’est pas de l’école de Manchester, mais les théories de l’école de Manchester ont beaucoup gagné dans les esprits, et c’est un point de doctrine aujourd’hui que de regarder la guerre non-seulement comme un fléau, mais comme une duperie. Deux ministres, dont l’un n’est pas moins que M. Gladstone, penchent vers cette politique, et c’est ce que ne doivent pas ignorer ceux qui auront désormais à traiter avec les Anglais. Il n’en est pas moins vrai que dans la question danoise ces dispositions placides étaient balancées par d’autres intérêts, par des sentimens de justice, de commisération, d’indignation, et qu’il dépendait du gouvernement d’enlever l’opinion publique dans le sens de l’action et même de l’intervention armée. Un pouvoir plus jeune, ayant plus d’avenir, plus d’appui dans la couronne et dans le parlement, aurait d’un mot décidé le pays, et il ne faut pas trop dire qu’on ne pouvait s’engager seul. D’abord il n’est pas sûr qu’on ne pût décider la France et obtenir tôt ou tard sa coopération. Puis ce concours était-il indispensable? Quelle occasion de montrer la grandeur et, pour ainsi parler, l’originalité de la puissance britannique! Un vaste pays comme l’Allemagne, vulnérable au nord par Hambourg et par Lubeck, au midi par Trieste et Venise, peut être mis à de cruelles extrémités par une force telle que la marine anglaise, sans pouvoir d’aucune manière ni se défendre ni se venger. D’ailleurs pourquoi se placer dans ces hypothèses extrêmes? L’amour excessif de la paix l’a fait croire trop menacée; la résolution d’agir pouvait suffire pour dispenser de l’action. Que la Grande-Bretagne donnât dès le début la certitude qu’elle saurait au besoin déployer son pavillon, et le cours des événemens était changé. L’énergie de l’Angleterre, au lieu d’amener la guerre, empêchait la guerre odieuse que la Prusse et l’Autriche viennent de terminer par une spoliation. Malheureusement l’industrialisme économique ne comprend pas cette politique, et lord Palmerston la désapprend sur ses vieux jours.

On ne peut donc lui dissimuler ni à lui, ni à son pays, qui ont fini par s’approuver mutuellement, que l’année 1864 ne comptera point dans leurs glorieuses années. Prendre au début un ton de fierté et même de menace, puis reculer toujours et finir par tout abandonner, on sait comment s’appelle une telle conduite. Pour le fond des choses, nous avons fait les mêmes concessions; mais du moins avons-nous évité un fâcheux contraste entre le commencement et la fin, entre le langage et la conduite. Dès l’origine, nous nous sommes posés en spectateurs désintéressés, et, j’en convien-