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drai, l’indifférence du public répondait à cette politique. Les vœux de la France encourageaient notre cabinet à l’inaction. Il aurait dû en effet beaucoup réfléchir avant de faire sortir la guerre d’une question qui pouvait en receler les germes.

Cependant était-il à propos de confier à toute l’Europe qu’on n’irait pas jusque-là, et d’encourager par une froideur calculée une presse complaisante à tromper le public sur la gravité des événemens? En restituant aux choses toute leur importance, en prenant à cœur les intérêts du bon droit et de l’équilibre européen, n’aurait-on pas atteint le but et sauvé la paix générale sans la faire payer au Danemark et à la justice? Dès l’origine, nous n’avons accordé aux vues de l’Angleterre qu’une approbation abstraite, lui témoignant sous toutes les formes qu’en partageant ses opinions nous ne partagions nullement ses espérances. On voulait bien faire comme elle des représentations, mais on en tenait le succès pour impossible. Plaider une cause en la déclarant d’avance perdue est le moyen certain de la perdre; consentir à des démarches dont on proclame en même temps l’inutilité, c’est les rendre inutiles en effet. Le négociateur français avait raison de penser que notre campagne diplomatique pour la Pologne ne nous avait pas si bien profité que nous dussions en recommencer une semblable. Il s’est montré constamment préoccupé de la crainte de s’exposer au même dégoût[1]. Reste à savoir si les situations, si les chances étaient les mêmes, si ce qui était faute dans un cas devait l’être nécessairement dans un autre, s’il était, en un mot, aussi vain de s’entremettre pour le Danemark que pour la Pologne.

Le côté désolant de toute assistance prêtée aux infortunes des Polonais, c’est qu’elle est nécessairement impuissante, si elle n’est armée. Ce qu’on réclame n’est possible que par la guerre. On n’a point prouvé qu’il en fût de même pour le Danemark. La France et l’Angleterre, réclamant au début, de concert avec la Suède et la Russie, l’exécution et le respect d’un traité signé, il y a dix ans, en vue des circonstances mêmes qui se produisaient, n’admettant pas même que les puissances qui l’avaient signé avec elles pussent biaiser sur le principe qu’elles y avaient proclamé, auraient pu dominer la situation et amener d’autorité une solution conciliatoire. Au mois de septembre de l’an dernier, lord Russell proposait de faire souvenir l’Autriche, la Prusse et la diète fédérale que tout acte de leur part tendant à affaiblir l’intégrité et l’indépendance du Danemark serait une violation du traité du 8 mai 1852. Pourquoi ce terrain a-t-il été abandonné? Il y a tout à craindre, a dit M. Drouyn de Lhuys, qu’une telle notification n’amenât que des réponses évasives,

  1. Voyez la dépêche de M. Grey du 18 septembre 1863 et celles de lord Cowley des (?) et 27 janvier 1864.