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par le refus ou l’indécision de l’autre, et les deux cabinets aiment encore à établir, sans pour cela s’adresser de mutuels reproches, que, s’ils se sont abstenus, c’est qu’ils ne se sont pas réciproquement trouvés en mesure ou en résolution d’accepter toutes les conditions et toutes les conséquences d’une action commune. Aussi lord Russell est-il bientôt entré dans le système des concessions; les principes ont été abandonnés, des fractionnemens de territoires, des démembremens partiels ont été conseillés ou prescrits au Danemark, et le droit public a commencé à recevoir chaque jour de nouvelles blessures de la main de ceux qui s’étaient chargés de le défendre. Le ministre français, réduisant notre rôle à une assistance bénévole aux réunions de la conférence, a dit plus que jamais qu’elle n’aboutirait pas, et n’a point tardé à laisser le champ libre aux grandes puissances allemandes. « Cédez, a-t-il dit au Danemark. Même quand le Slesvig serait incorporé à la confédération germanique, nous ne ferons pas d’opposition sérieuse; vous ne devez pas compter sur nous dans cette question[1]. »

L’avortement de la conférence avait présagé ce dernier mot. Lorsqu’on fit les procès-verbaux de ces tristes et stériles discussions où chaque interlocuteur, presque sans exception, paraît tantôt si peu soucieux d’arriver à un résultat, tantôt si convaincu qu’aucun résultat ne peut être obtenu, on ressent tout ce qu’il en a dû coûter aux représentans de grands empires pour s’astreindre à traverser les banalités fastidieuses d’un dialogue inutile, en faisant constamment retraite devant des objections sophistiques, en abandonnant toutes les positions les unes après les autres, en renonçant successivement aux prétentions les plus modestes, en entassant les concessions sur les concessions sans aucun espoir d’en arracher une, et avec la certitude d’assurer enfin un triomphe à l’iniquité et à la mauvaise foi. Peu de documens sont plus propres à donner raison aux contempteurs de la diplomatie, et ceux qui se plaisent à relever avec exagération la part de ruse et de mensonge qu’admet le maniement des grandes affaires auront une pièce de plus à citer. Peut-être sera-t-elle un jour, cette pièce accusatrice, rétorquée avec une force redoutable contre les puissances qui, en y consignant l’expression par trop naïve de leurs arrière-pensées et de leurs calculs, auront perdu d’avance le droit de réclamer en d’autres occasions la foi des traités, la loyauté du langage, tous les principes du droit public.

L’attitude et l’argumentation du plénipotentiaire prussien en particulier sont difficiles à qualifier. Le plus froid lecteur ne peut se défendre, à certains passages, d’un étonnement qui touche à l’in-

  1. Dépêche de M. de Moltke, juillet 1864.