Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/927

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permettraient de transformer un intérêt politique en affaire de localité ne peuvent plus être interprétées comme elles l’ont été, ni maintenues sans amendemens qui les complètent et les rectifient. Il deviendrait trop dangereux de paraître biaiser avec le suffrage universel, et l’élection populaire, ce plébiscite périodique, sera chaque jour une épreuve plus franche et plus critique. Les vœux de la France sont en ce moment si raisonnables et si modestes que celui qui oserait les satisfaire recruterait largement des alliés à sa cause. Un pouvoir libérateur réunirait à tous ceux qui le défendent dans l’intérêt de l’ordre tous ceux qui compteraient sur lui dans l’intérêt de la liberté. L’autorité publique n’a qu’à changer son point d’appui dans les élections pour voir se grossir d’elle-même la majorité qu’elle désire. On comprend même l’inquiétude des esprits sévères qui la voient déjà maîtresse de regagner à trop bon marché tout le terrain qu’elle risque de perdre. La France libérale ne mettra pas son adhésion à un aussi haut prix qu’elle le devrait peut-être.

La pierre d’achoppement, c’est toujours la liberté de la presse. Aussi vivement souhaitée que fortement redoutée, elle est un de ces biens qui passionnent et qui troublent, et dont on dirait volontiers avec un ancien : Nec possum cum te vivere nec sine te. Cependant, si l’on veut y réfléchir, il est impossible de se flatter que le présent régime de la presse puisse être éternel. Ce reste d’une époque de dictature ne saurait être le droit commun et définitif de la civilisation moderne. Passez la frontière, vous vous trouverez, au-delà de Quiévrain, dans un pays où des partis irréconciliables se disputent le pouvoir avec une violence outrageante ; vous traverserez de grandes villes riches en libertés locales, exemptes des liens d’une impérieuse centralisation, où la densité d’une population pressée rapproche la richesse et la pauvreté, les lumières et l’ignorance, la ferveur cléricale et le scepticisme laïque, le capital et le travail. Là des masses ouvrières reçoivent de toutes mains cent feuilles à bon marché dont aucune surveillance arbitraire et préventive n’intimide et ne tempère la vive rédaction. Je ne demanderai pas pourquoi la France ne supporterait pas ce que supporte la Belgique. La liberté comme en Belgique est un vœu d’un autre temps qui effraierait un bon nombre de ceux qui l’ont inventé. Ne recherchons pas davantage comment au lendemain de révolutions multipliées un royaume de formation récente, le royaume d’Italie, peut concilier une tranquillité parfaite avec une liberté d’écrire digne de l’Angleterre, et laisse s’exhaler à l’air libre la flamme des passions patriotiques. Laissons-nous dire par nos adversaires, s’ils le veulent, que les Italiens sont plus sages que les Français, et les Belges plus intelligens; mais répétons cette simple question : Cernés que nous sommes sur toutes nos frontières par