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tant d’exemples de franchises constitutionnelles, devons-nous à tout jamais rester sous le régime des avertissemens, de la suppression administrative et de l’autorisation préalable? Et si les liens de la législation actuelle de la presse doivent être desserrés un jour, à qui convient-il mieux qu’au pouvoir d’en prendre l’initiative, et quel moment plus favorable qu’un temps de calme et d’attente où le gouvernement, conservant toute sa liberté d’agir, n’a encore de concessions à faire qu’à sa propre sagesse, et non aux injonctions de la nécessité ? Est-ce à nous de rappeler aux serviteurs de l’empire sur quelles larges bases il s’appuie, quels souvenirs le protègent contre toute agression téméraire, quels motifs lui ont toujours fait regarder la démocratie comme son alliée naturelle? Qu’ils nous le disent, craindraient-ils la France ?

Non, vous le savez bien, les libertés ne sont périlleuses qu’alors qu’elles ont été exigées avant d’être obtenues. Celui qui n’a pas été maître de les refuser ne peut se faire un titre à la reconnaissance de les avoir accordées. On s’autorisera contre lui de sa faiblesse même, et il n’aura fait qu’armer peut-être des ennemis. Franchement vous n’en êtes pas là. Vos plus grands ennemis sont loin de le croire, et s’ils écoutaient l’inimitié plus que le patriotisme, ce qu’ils pourraient le plus désirer, ce serait de vous laisser traîner par le temps, dans l’imprévoyance et l’inaction, à cette situation extrême où tout devient faute, la générosité comme la rigueur, la justice comme l’oppression. On a parlé de pessimisme : vous pouvez jouer le jeu du pessimisme, si vous tardez trop longtemps.

Le point, dit-on, dont la concession offre le plus de difficulté, c’est la responsabilité des ministres. À ce mot, on croit déjà voir apparaître le monstre tant redouté, le gouvernement parlementaire. Quoi! la France serait menacée du régime que se donnent successivement tous les grands états de l’Europe ! Mais parce que les ministres viendraient eux-mêmes discuter leurs actes devant le corps législatif, parce que cette assemblée, munie d’un droit de contrôle et d’amendement plus étendu, voterait les dépenses de l’état suivant une spécialité mieux définie, le gouvernement parlementaire ne serait pas encore institué; ce qu’on appelle ainsi dépend moins de certains articles de législation politique que de l’état des esprits et de l’usage que chaque pouvoir entend faire de ses prérogatives. Pourquoi, parce que la chambre élective serait mise dans un contact plus direct avec la puissance exécutive, pourquoi, parce que les affaires seraient plus franchement et plus utilement débattues, l’assemblée serait-elle plus disposée à entraver l’action légitime du gouvernement? La majorité serait-elle changée pour cela? De confiante, deviendrait-elle défiante? Cesserait-elle de voir les choses comme elle les voit? Nourrirait-elle envers l’empire et son chef