Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/929

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’autres sentimens? Cette majorité, dira-t-on, n’est pas éternelle. Si elle doit changer, qu’y pourront les institutions actuelles? Tant que les chambres sont modérées, bienveillantes, déférentes, la plénitude des droits constitutionnels ne leur donnera pas un autre esprit. Satisfaites d’un rôle plus digne et plus efficace, elles s’uniront au contraire plus intimement et plus librement au gouvernement, dont elles sont autant l’appui que le frein. Si les élections ultérieures, en le composant d’autres élémens, doivent animer le corps législatif de sentimens nouveaux, si la jalousie d’influence doit s’emparer de lui, son organisation actuelle, loin de le contenir, ne fera que l’irriter; elle lui donnera tous les moyens, non pas, comme on le craint tant, de discuter le gouvernement, mais de paralyser son action, de le frapper d’interdit, sans moyen constitutionnel de rétablir l’harmonie entre des pouvoirs qui ne sauraient ni se pénétrer ni s’entendre. Ce qu’on craint apparemment, c’est l’opposition systématique. Eh bien! que l’opposition systématique s’introduise et domine nos assemblées telles qu’elles sont constituées, aussitôt s’engage un conflit sans solution et sans terme. Converti à l’opposition systématique, le sénat accueille et soutient toutes les pétitions; il déclare inconstitutionnels tous les projets de loi. Inspiré du même esprit, le corps législatif vote une adresse hostile, rejette tout, lois et budgets, et tout gouvernement devient impossible. Pour de pareilles extrémités, la constitution n’a pas de remèdes, comme il y en a dans le système représentatif largement établi. Pourquoi donc se placer dans ces cas extrêmes? S’ils vous menacent, ils vous menaceraient d’autant plus que des refus de liberté raisonnable auraient davantage blessé, irrité l’opinion. Une nation dont on se défie trop ne tarde pas à se défier à son tour: mais aujourd’hui qui oserait dire qu’ambitieuse et impatiente la chambre élective n’attende qu’un signal pour usurper toute l’autorité, et quand sera-t-il plus à propos d’établir entre les pouvoirs la nécessité légale du concours qu’alors que le concours des intentions existe pleinement?

On ne ferait après tout que régulariser ce qui peut se produire au premier jour, ce qui même ne saurait manquer de survenir dans un temps peu éloigné. La responsabilité de fait peut d’un moment à l’autre tomber de tout son poids sur la tête des ministres avec ou sans portefeuille. Est-ce qu’il ne peut pas arriver qu’un ministre indispose tellement la chambre par sa façon d’administrer qu’elle le témoigne par ses délibérations? Pense-t-on que, si M. le duc de Persigny fût demeuré au ministère de l’intérieur, certaines adhésions eussent été aussi faciles à obtenir? Et si le ministre d’état, orateur et représentant du gouvernement, lui qui parle pour tout