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le conseil absolument comme un principal ministre dans l’ordre constitutionnel, venait à mécontenter, à fatiguer l’assemblée, n’en résulterait-il pas des froissemens, des embarras, et peut-être des collisions qui obligeraient la couronne à aviser? Que la bonne fortune de l’empereur lui envoie un ministre d’état d’un grand talent et d’un mâle caractère, ne deviendrait-il pas l’homme nécessaire, et pourrait-il être arbitrairement écarté? Un tel homme n’exercerait-il pas une influence inévitable sur les ministres à départemens, et pourraient-ils, en matière importante, faire ce qu’il ne consentirait pas à défendre? Déjà le choix de ce défenseur général de l’état peut-il être livré au bon plaisir? Quand le poste a été créé, pouvait-il être donné à un autre que M. Billault? Et lorsque M. Billault mourut, M. Rouher avait-il beaucoup de rivaux qui pussent lui disputer la place? Nous ne sommes donc pas si loin de la responsabilité ministérielle, en tant qu’elle peut influer sur le choix du prince, car elle n’a pas sous ce rapport d’autre effet que d’obliger moralement sa prudence à choisir les principaux représentans de son autorité en vue de l’état des affaires, de la disposition des chambres et de l’esprit public. Est-ce donc là un grand malheur, et qui peut trouver nécessaire ou utile qu’il en soit autrement?

Telles sont cependant les réformes indispensables auxquelles l’opposition borne ses vœux. On pourrait certes prétendre davantage, et nous avons connu de meilleures espérances; mais il faut régler ses désirs sur sa fortune, et dans la situation des esprits je suis persuadé qu’une réforme contenue dans ces limites satisferait de nombreuses exigences, affermirait le pouvoir qui l’aurait consentie, et lui assurerait plus de stabilité et de repos que le maintien absolu du système établi. Il y a trois politiques : une politique de réaction, une politique de statu quo, une politique de réforme et de progrès. Celle-ci est la moins dangereuse, comme elle est à coup sûr la plus honorable. Ce n’est pas d’hier que ceux qui craignent le plus les révolutions y tendent, et que le conseil qui doit les éviter est donné par ceux qui les craignent le moins. Nous n’en doutons pas, quant à nous, la révolution française ne peut être terminée que par le triomphe égal et simultané de tous ses principes, et ce n’est pas une gloire commune qui écherra au gouvernement destiné par la Providence à réaliser sous une forme durable l’alliance de tous les droits que 1789 a mis dans le monde. Cette gloire, voilà longtemps que la France la met au concours et l’offre à qui saura la ravir. Ce prix ne sera-t-il donc jamais remporté?


CHARLES DE REMUSAT.