Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/935

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trente-huit ans avaient porté le débat sur un terrain purement scientifique. M. Jouffroy les y suivit, et là, déployant toutes les ressources d’une analyse irrésistible, il montra qu’il y a des faits « qui ne sont point visibles à l’œil, point tangibles à la main, que le microscope ni le scalpel ne peuvent atteindre, si parfaits qu’on les suppose, qui échappent également au goût, à l’odorat et à l’ouïe, et qui cependant sont très observables et très susceptibles d’être constatés avec une absolue certitude. » Nous disons que M. Jouffroy montra ces deux vérités et non point qu’il les démontra; c’est qu’en effet on ne démontre pas les choses qui sont d’évidence immédiate : on ne peut et on ne doit qu’y ramener les regards qui s’en détournent. L’usage inopportun de la démonstration compromet plus de principes qu’il ne renverse d’erreurs et ne produit de convictions. M. Jouffroy se borna donc à inonder de lumière les faits de notre existence intellectuelle et morale et à mettre les esprits les plus rebelles dans l’impossibilité de ne pas déclarer ces faits aussi réels, aussi positifs, aussi certains que les faits appelés sensibles. Pour cela, il n’eut qu’à invoquer avec son habileté consommée le témoignage de cette faculté secrète qui, sous le nom de conscience ou de sens intime, nous avertit de tout ce qui se passe au plus profond de nous-mêmes. Ces avertissemens, il n’est personne qui ne les entende, puisque quiconque souffre, pense ou veut, sait en même temps qu’il pense, souffre ou veut; il n’est personne qui ne s’y fie entièrement, puisque, le monde entier vînt-il dire à un homme qui souffre qu’il ne souffre pas, cet homme en croirait sa conscience et non le monde entier; enfin cette perception de notre état intérieur est si peu due à l’intervention de nos sens, que nul, même parmi les matérialistes, n’a jamais poussé l’absurdité jusqu’à demander à ses organes de relation des renseignemens sur ses pensées, ses inclinations ou ses volontés. De tout cela il résulte une chose peu importante au premier aspect, mais de fort grande conséquence : c’est qu’il y a des réalités autres que celles dont nos sens sont frappés. M. Jouffroy crut avec raison qu’il n’était pas inutile d’obtenir de la bouche même des physiologistes l’aveu de ce point capital. Il lut donc leurs ouvrages et y vit qu’avant de chercher quelles sont les conditions matérielles de la sensation, de la pensée et de la volonté, les physiologistes prenaient forcément pour accordées l’existence de ces facultés invisibles et la réalité des actes internes de ces facultés. Par cet aveu, que leur dictait le bon sens, les physiologistes reconnaissaient comme certains des faits qui n’étaient ni visibles, ni tangibles, et se faisaient les témoins, presque les complices du nouveau spiritualisme.

Que s’est-il passé depuis cette époque? Quelqu’un s’est-il ren-