Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/938

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puissance où se trouve l’induction expérimentale d’atteindre la certitude. « La philosophie existera, dit-on, elle prendra sa place au faîte des choses du monde, quand elle sera devenue une science exacte, comme la science de l’étendue et du nombre. » Et comment donc la philosophie acquerra-t-elle la puissance et la certitude des sciences exactes? En substituant une induction rationnelle à l’induction expérimentale, dont l’infirmité est, pense-t-on, évidente. — Nous ne saurions laisser passer, sans en signaler l’erreur, cette théorie dangereuse. Qu’appelle-t-on en effet sciences exactes? Celles-là mêmes qu’on a citées en exemple, les sciences de l’étendue et du nombre, la géométrie et l’arithmétique, qui ne travaillent que sur de pures abstractions, qui ne demandent à l’expérience qu’une première excitation, une seule, et qui, une fois en présence de l’idée rationnelle ou de l’axiome, vont d’un pas infaillible à des conséquences absolument vraies. Mais cette vérité mathématique est tellement le caractère exclusif de l’abstraction, que dès qu’on la transporte aux objets concrets connus par l’expérience, elle s’altère aussitôt. Vous avez un champ qui a la forme d’un trapèze; pour le mesurer, vous partez de cette vérité, que la surface d’un trapèze est égale à la demi-somme des bases parallèles multipliée par la hauteur. Vous opérez en conséquence et vous obtenez un nombre que vous considérez comme l’expression mathématiquement exacte de faire de votre champ; mais nul savant ne s’y trompe : bien plus, un simple élève en géométrie vous dirait que le chiffre obtenu représente la surface d’un champ abstrait, en apparence égal au vôtre, mais qu’à procéder avec la dernière rigueur, et à tenir compte de tous les accidens du terrain que vous avez négligés, vous aboutiriez à un résultat différent, et dont l’exactitude, quoi que vous fissiez, ne serait jamais qu’approximative. Or, si les mathématiques elles-mêmes ne peuvent toucher la réalité, ne fût-ce que du bout de l’aile, sans y perdre quelque chose de leur idéale rigueur, comment l’induction philosophique, dont l’essence et la loi sont de se rattacher à l’âme vivante et de suivre les multiples mouvemens d’un être libre et sensible, revêtirait-elle sans les fausser, ou sans se fausser elle-même, les formes raides de l’abstraction mathématique? La confusion des méthodes n’a jamais produit que les erreurs les plus désastreuses. N’allons pas brouiller encore l’écheveau dont les mains habiles des maîtres modernes ont eu tant de peine à séparer les fils. C’est confondre les méthodes que de vouloir à tout prix imposer aux unes le caractère des autres. Incontestablement l’induction se refuse à donner la certitude mathématique, mais elle en fournit une autre d’espèce différente et qui a sa valeur propre. Et la question aujourd’hui n’est plus de