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prouver que cette certitude existe, mais uniquement d’en déterminer le fondement, le degré et le signe.

Les penseurs des diverses écoles l’ont senti. Ils se sont bien gardés de frapper de discrédit le procédé fécond auquel les sciences physiques et naturelles sont redevables de leurs éclatans progrès. Unanimes à considérer l’induction expérimentale comme la clé même de ces sciences, ils ont seulement tâché de décrire le mécanisme et de calculer au juste la portée de cet admirable instrument. De cet effort sont nées des théories nouvelles sur quelques-unes desquelles le sujet même de ce travail nous oblige à jeter un rapide coup d’œil.

De toutes ces théories, la plus hardie est celle du positiviste anglais M. Stuart Mill, qu’a interprétée, abrégée et corrigée M. Taine[1]. M. Mill définit l’induction « l’opération qui découvre et prouve les propositions générales, le procédé par lequel nous concluons que ce qui est vrai de certains individus d’une classe est vrai de toute la classe, ou que ce qui est vrai en certains temps sera vrai en tout temps, les circonstances étant pareilles. Cela revient à dire, ajoute M. Mill, que le cours de la nature est uniforme. » Mais l’induction dit-il encore, ne part pas de cet axiome, elle y conduit; nous ne la trouvons pas au commencement, nous la trouvons à la fin de nos recherches. Au fond, l’expérience ne présuppose rien hors d’elle-même. « Nul principe a priori ne vient l’autoriser ni la guider... Il n’y a que l’expérience, et elle est partout. » La définition du procédé d’induction donnée par M. Stuart Mill est exacte, quoique un peu longue, et nous l’acceptons volontiers. Seulement nous sommes forcé de noter que les deux dernières phrases de cette définition sont grosses de conséquences qui renversent le système de l’auteur. Si l’esprit humain ne possède qu’une seule faculté, l’expérience, et si l’induction elle-même n’est que l’expérience, ni plus ni moins, sous un autre nom, nous demandons d’où viennent à l’esprit humain d’une part l’idée de la permanence des classes d’êtres, et de l’autre la notion d’un temps à venir impliquée dans celle de la permanence des genres. Le mot expérience signifie le pouvoir de connaître directement les choses par les sens ou par la conscience; il signifie aussi le produit de cette double connaissance, ce qui en demeure dans la mémoire quand l’objet n’est plus présent. Réduits à l’expérience, nous ne connaissons donc évidemment que ce que nous avons perçu d’une perception réelle et directe, et partant tout ce qui est resté en dehors de notre expérience ou en dehors de l’expérience de nos semblables est pour nous lettre close. Ainsi, dans le système de M. Mill, l’avenir nous est fermé, car qui donc a jamais directement

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1861.