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son rang, nous voyons Elie le foudroyant s’asseoir au haut bout et Marie se placer humblement au milieu, à côté de saint Savra, un Serbe canonisé.

S’il n’est pas impossible d’apercevoir dans les chants populaires et dans les traditions des Serbes la trace de plusieurs dieux du panthéon slave, rien n’est plus aisé que d’y découvrir le culte de la vila, que les Russes nomment roussalka. En effet, les chants les plus anciens comme les plus modernes tantôt présentent des allusions aux vilas, tantôt les font intervenir dans la vie des simples particuliers comme dans celle des héros. Ces êtres mystérieux, qui se montrent déjà au berceau de la nation serbe, reparaissent, lors de la guerre de l’indépendance, en plein XIXe siècle, « au sommet du Roudnik » pour consieller à Tsèrni-George de chercher en Sirmie un refuge contre la colère des Turcs. Le christianisme n’a gère modifié leur ancien caractère. En général, les peuples pélasgiques, cédant aux idées des pères de l’église, se sont hâtés de transformer en démons les divinités de la nature. C’est ainsi que les néréides sont devenues les perverses anaraïdes ; mais les Slaves méridionaux, convertis beaucoup plus tard, restés d’ailleurs par la rudesse de leur vie assez étrangers aux conceptions dogmatiques des théologiens, n’ont mis aucun empressement à renoncer aux idées que leurs ancêtres se faisaient des êtres surnaturels répandus, disaient-ils, dans toutes les parties du vaste monde, ni de les supposer animés d’intentions malveillantes envers l’espèce humaine.

Quoique les contes serbes fassent mention des vilas, il en est question plus fréquemment dans les pesmas, et c’est là qu’il faut chercher une notion complète des attributs et du caractère de ces êtres surnaturels. De même que les divinités de la nature ont à l’origine personnifié des êtres physiques, je suppose que les vapeurs fluides qui flottent à certaines heures sur les bords des lacs, qui s’attachent, dans la profondeur des bois, aux branches inclinées des arbres, ou que la brise emporte vers le ciel, ont fourni tant d’illusions à l’imagination des peuples enfans, ne devaient-elles pas leur apparaître comme de blanches nymphes parées de leurs longs cheveux flottans et de robes aériennes mollement agitées par le souffle des vents ? Et les prés humides, les bois silencieux, le bord des torrens couverts d’une écume éblouissante, qui sont devenus leur demeure favorite, n’ont-ils pas été leur berceau ? La rapidité dans les mouvemens, la mobilité, les apparences changeantes, ne rappellent-elles pas assez clairement cette origine ? L’inconstance et le caprice devaient devenir leurs attributs à mesure que, par une suite de développemens qu’on retrouve dans tous les mythes, on essayait de leur donner un rang dans l’échelle du monde moral.