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Voukachin, ayant réuni une année de soixante et un mille hommes, passa en Macédoine et battit d’abord le padishah sur les bords de la Maritza (l’Hèbre des anciens) ; mais tandis que les Serbes, avec l’insouciance orientale, se livraient au repos, Mourad revint la nuit suivante avec des troupes fraîches et tailla les chrétiens en pièces. « Le krâl de Serbie et de Roumanie » et ses deux frères succombèrent dans ces luttes acharnées ; le krâl fut, disent les uns, assassiné par un valet après un engagement, d’autres prétendent qu’il se noya dans la Maritza. La conscience du peuple aime assez à voir les gens punis par où ils ont péché ; elle nous montre Voukachin, qui avait échappé au massacre, périssant victime d’une de ces perfidies dont il avait été trop peu avare. Voici cette dernière version : une fille turque est sortie avant l’aurore pour laver de la toile dans la Maritza. Après le lever du soleil, l’eau se trouble, elle roule fangeuse et sanglante, puis elle apporte des chevaux et des kalpaks (bonnets de fourrure), vers midi des blessés, enfin un guerrier qui se débat au milieu du courant. Quand ce guerrier aperçoit la jeune fille, il lui donne le titre qui rend aux yeux des Serbes un refus fort difficile : « Ma sœur en Dieu, lui dit-il, jette-moi une pièce de toile, retire-moi de la Maritza, et je te comblerai de bienfaits. » Cet « appel en Dieu » ayant touché le cœur de la musulmane, elle attire sur la rive le guerrier, dont dix-sept blessures attestent la bravoure et dont un riche vêtement trahit le haut rang. Son sabre seul vaut trois villes impériales. Ce sabre devait causer sa perte. À peine Moustapha-Aga, frère de la Turque, appelé par sa sœur au secours du chrétien, a-t-il vu cette arme splendide, sa triple poignée ornée de trois pierreries, qu’il s’en empare et qu’il s’en sert pour trancher la tête du blessé.

Ce flot fangeux, puis sanglant, qui roule des débris et des cadavres, ne ressemble-t-il pas à l’invasion mahométane dont la Serbie était menacée ? Les divisions des Serbes rendaient le danger plus redoutable encore. Dans ce péril extrême, une assemblée générale des feudataires de l’empire appela au trône un ennemi personnel des Merniavtchévitch, le voïvoda de la Sirmie, Lazare Gréblianovitch (1374), que Douchan avait marié à Militza, princesse qui semble avoir été du sang illustre des Nemanitch. Lazare, qui n’avait jusqu’alors montré qu’une médiocre énergie, se surpassa dans ces conjonctures périlleuses. Il essaya de défendre les Valaco-Bulgares contre les Turcs, et contint la Hongrie tantôt par des négociations et tantôt par l’épée ; mais de pareils efforts, en lui faisant perdre de bons soldats, l’épuisaient ayant la lutte décisive qu’il devait soutenir à Kossovo contre cet énergique Mourad Ier, qui triompha dans trente-neuf batailles.

Comme si elle ne pouvait comprendre pourquoi le Dieu des chrétiens