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ou à l’esprit humain. Aurions-nous perdu quelques-unes de nos curiosités sur une autre vie, sur notre valeur et notre persistance éternelles? ou bien la science s’est-elle étendue à ces choses que la religion et la philosophie éclairaient à leur manière? Non, il n’est rien advenu de pareil ; rien n’a péri dans l’homme des ambitions et des anxiétés qui l’élèvent si fort au-dessus du singe le plus compliqué, le plus accompli. Le « problème de la destinée, » comme dit Jouffroy, n’a pas cessé d’apparaître aux hommes, visitant à ses heures les plus pauvres d’esprit, les plus humbles de condition; mais de nouvelles questions, de nouveaux intérêts, de nouveaux droits ont paru dans le monde, qui le passionnent étrangement : tout un trésor où il a mis son cœur. Sur cet ensemble de nouveautés, la religion et la philosophie sont sans voix, sans traditions, je ne dis pas sans principes; mais la vertu de ces principes est latente et ne s’est produite encore ni en établissemens ni même en raisonnemens. Cependant ces questions sont grandes, encore que bornées à l’horizon d’ici-bas : elles dépassent le bien-être, elles touchent à l’honneur des peuples, aux devoirs de la société, elles invoquent le commandement divin de la charité. Quand on ne sait que dire aux hommes là-dessus, les eût-on conduits et dominés longtemps, on perd quelque chose de cette domination, on passe à l’ombre, on touche au déclin et à l’effacement : telle est l’aventure des anciennes autorités morales.

D’un autre côté, la science, avec toutes ses méthodes et ses interprétations, n’a rien trouvé sur ce problème de la destinée dont nous parlions tout à l’heure : elle n’a rien cherché, il est vrai, elle dédaigne et supprime le problème, ni plus ni moins. Cela ne suffit point au monde. Parce que le monde s’est pris d’impatience contre la métaphysique et la religion, muettes ou hostiles sur tant de questions nouvelles et impérieuses, parce que des sciences nouvelles sont nées, chacune à titre de solution partielle, parce que la philosophie positive a entrepris de coordonner toutes les sciences et d’en tirer une notion suprême, magistrale, exclusive, — ce n’est pas à dire que le monde va se contenter de cette philosophie, n’y trouvant rien pour ses curiosités d’outre-tombe, dont il s’entretenait avec la métaphysique et la religion.

Il faut avouer cependant que la science s’est accrue sensiblement aux mains des philosophes positifs. Elle compte aujourd’hui le développement des sociétés parmi les choses de son observation; elle a découvert une loi de ce développement, qui est le progrès; elle s’élève ainsi jusqu’à la morale, qui fait partie de ce progrès, et dans les développemens de la morale en reconnaît les commandemens. À cette hauteur, dès qu’elle tient pareille école, la science