Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

met le pied dans le domaine des religions et des philosophies, elle en fait le service et prend quelque chose de leur grandeur, de leur transcendance; elle ne laisse en dehors d’elle-même, — et cet hiatus, il faut en convenir, est un vide affreux, — que les sanctions de la morale, c’est-à-dire la persistance de l’individu pour être puni ou récompensé ailleurs.

Ainsi la philosophie et la religion nous donnent le spectacle d’une certaine disproportion avec le monde tel qu’il s’est développé, tandis que la science, appliquée à l’état social et à ses lois, comme à celles de la nature, a pris des dimensions et des clartés nouvelles, a grandi sur l’horizon et s’est élevée par de nouveaux services dans l’estime des hommes. À ce compte, la philosophie positive n’est pas l’avènement capricieux d’une doctrine purement fausse et chimérique : elle est née du silence obstinément gardé par la religion et la philosophie sur certaines obsessions de la conscience moderne; mais parce qu’une doctrine est venue à son heure et porte avec elle son à-propos, ce n’est pas à dire qu’elle soit vraie, et qu’avec l’intention de suppléer un vide, un silence, elle y parvienne. En tout cas, son mérite serait médiocre, si, comblant certaines lacunes, elle en ouvrait d’autres, et de plus profondes, de plus dévorantes.

Nous avons donc trois choses à prouver : d’abord la déchéance moderne, relative, de la religion et de la philosophie, puis l’avènement et le progrès de la science du côté des choses morales, politiques et sociales; enfin nous avons surtout à montrer quelle est l’insigne erreur de la science quand, du haut de ses ascensions et sous prétexte de ses développemens, elle prétend interdire à l’homme toute curiosité sur son origine et sa fin, l’identifiant et le bornant à l’humanité, l’enchaînant à la terre et lui disant : Tu n’iras pas plus haut. Il faut conter cela aux taupes. Et s’il me plaît à moi de regarder le soleil en face ! si je souffre moins sur les sommets où l’on peut être ébloui que dans la pâle clarté d’un sillon étroit et court! Il vous souvient peut-être de certain tableau du Dominiquin, le Ravissement de saint Paul. Le saint gagne les cieux sous l’haleine et la main des anges, drapé d’un nuage de pourpre, l’œil perdu d’extase. L’infini l’attire, il monte à tire d’aile, et du train dont il s’élève, si l’infini a quelque part un autel, un monarque, le bienheureux va rouler à ses pieds et le contempler face à face... Nous ne sommes pas des saints en général; les anges ne nous portent pas, ne nous obéissent pas. Toutefois nous avons à l’esprit quelque chose comme des ailes, une véritable impatience du pur terre à terre, un appétit d’espace, et c’en est assez pour ne pas ramper ; mais nous verrons tout cela de plus près et sans phrase, en prenant le scepticisme corps à corps. Pour le moment, les trois