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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/560

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religion et de philosophie, quelque chose pour les satisfaire en certaines aspirations qui ne se contentent pas de la terre, des produits ou du tombeau qu’elle nous offre. Or fut-il donné à la religion et à la philosophie de comprendre ce qui se passait dans les âmes? Leur vint-il à l’esprit de se transformer, d’ajuster leur pas et leurs traits à ceux du monde moderne? La chose, quand elle arrive, est d’un merveilleux effet. Voyez plutôt le principe de propriété, perverti pendant des siècles, appliqué avec une intempérance inouïe jusqu’à l’homme, jusqu’au travail, jusqu’à la puissance publique... Il y eut un temps, qui durait encore au moyen âge et même plus tard, où tout cela était approprié, traité de choses, régi par le droit civil; mais la propriété est rentrée dans ses limites, a rejeté ces excès, et, purgée de la sorte, elle est devenue quelque chose d’inviolable et de sacré, un fond qui ne bouge pas plus dans nos commotions françaises que le sol et que la langue. Il en est arrivé autant au principe d’autorité : tel que l’a fait la raison moderne, c’est-à-dire national, il s’est établi à jamais dans le respect des hommes. On voit par ces exemples que ce qui s’adapte à leurs besoins nouveaux ne peut être touché par la désuétude. À cette condition, avoir été est une raison d’être encore. Les choses ne périssent pas pour leur ancienneté, qui est marque de leur valeur et source naturelle de respect, mais pour leur impropriété, pour leur disproportion survenue, quand elles ne s’en aperçoivent pas.

Pourquoi la religion, parmi nous, n’a-t-elle pas eu cet instinct de salut? La réforme prouve que la religion n’en est pas absolument destituée, si ce n’est en France, où, tentée par la plus haute noblesse, Bourbons en tête, elle finit par échouer. Le catholicisme français ne lâcha rien de son esprit, de ses maximes, et cela tandis qu’un torrent de choses nouvelles emportait la société. Il commença dès le XVIe siècle à vivre comme un étranger dans ce monde qu’il avait rempli de son souffle. Est-il une politique moins semblable à celle des croisades que François Ier allié de Soliman, ou que Richelieu secourant les réformés d’Allemagne? Mais il faut voir surtout ce qui se passe dans le monde des idées. Là, tout se constitue, se produit en dehors de la théologie : science, droit public, morale, philosophie, méthode. Après Galilée, d’une astronomie peu orthodoxe, c’est Grotius posant la question du droit naturel comme s’il n’existait pas d’Écriture sainte, puis Descartes philosophant à distance de la Bible au point de chercher ce qu’il faut croire de l’humanité et de la nature dans l’hypothèse d’un Dieu trompeur. Ainsi procèdent les sciences morales et les sciences naturelles. Ce n’est pas tout : au-dessus et comme législation des sciences, s’élèvent des questions de méthode. Quels sont nos moyens de connaître.