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Il serait difficile d’embrasser d’un coup d’œil une si vaste industrie, répandue sur vingt-cinq comtés au moins; c’est dans le sud du pays de Galles qu’il faut se placer de préférence pour l’étudier. Les mœurs des anciens Bretons donnent ici au travail industriel un cadre pittoresque, et c’est sur ce cadre même que l’attention doit se porter d’abord.


I.

J’entrai dans la principauté de Galles par un tronçon de chemin de fer connu sous le nom de Bristol and South Wales Union railway. Arrivé à un endroit qu’on appelle New Passage (nouveau passage), la ligne se trouve brusquement interrompue par les grandes eaux du Severn. Portée sur une forêt de charpentes, la voie ferrée traverse une partie du fleuve ou plutôt de l’estuaire, puis s’arrête comme effrayée devant les vagues de plus en plus profondes et orageuses. Les voyageurs descendent des wagons et s’acheminent par un escalier de bois vers le niveau de cette mer (Severn sea), où les attend un bateau à vapeur. En même temps on décharge les bagages, qui, jetés dans une énorme caisse maintenue par des chaînes de fer, ne tardent point à rejoindre les passagers. La machine recommence plusieurs fois son voyage aérien, montant et redescendant tour à tour. Enfin tout est prêt : hommes et femmes, en élégant négligé de touristes, ont pris leur place depuis quelques minutes sur le steamer, dont la chaudière bouillonnante semble frémir d’impatience. Les roues s’agitent, battent l’eau, qui se soulève en écumant, et le bateau à vapeur s’éloigne de la jetée. C’est alors que chacun peut embrasser du regard la grossière, mais audacieuse construction sur laquelle on vient de franchir en chemin de fer une partie du Severn. La lame se heurte et se brise entre les pilotis chargés à la base d’une mousse verdâtre et solidement plantés dans le lit du fleuve. A certains jours de l’année, les hautes marées accourent avec furie par l’embouchure du Severn, tout à coup trop étroite, et forment une colonne d’eau qui s’écroule sur cet ouvrage de bois sans l’ébranler. Le passage, quoique ne durant guère plus de vingt minutes, suffit à donner une idée de la largeur du noble fleuve, — trois ou quatre milles environ. On arrive ainsi de l’autre côté du Severn à une seconde jetée située non en face de la première, mais plus en aval, car il aurait sans doute été trop dur de couper l’eau en droite ligne. Allant de l’une à l’autre, le steamer sert de trait d’union entre les deux extrémités d’un pont ouvert par le milieu. On dirait deux bras trop courts tendus à la surface du détroit et qui se lancent comme une pierre le