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les farouches doctrines du barde dérivent en droite ligne de l’ancienne théologie celtique, là se présente la grande question qu’il est difficile d’approfondir. Ce point de vue n’en donne pas moins à ses chants un haut intérêt ; malheureusement le ton en est très obscur, et l’authenticité de ces poèmes eux-mêmes a été contestée par quelques érudits. Quoi qu’il en soit, les habitans du pays de Galles, plus accessibles à l’enthousiasme qu’au sens critique, lui assignent une date et une place certaines dans la littérature welshe. Par son caractère et par la nature de son époque, il forme, selon eux, une sorte de transition entre les anciens ovates et les bardes guerriers, entre la religion des druides éclipsée et l’aube du christianisme dans les forêts de la Cambrie[1].

Merddhyn, surnommé le Calédonien ou le sauvage, Wyltt, est avec Taliesin un des derniers prophètes de la race bretonne. Ce n’était point un habitant du pays de Galles proprement dit, mais bien du royaume welshe, qui s’étendait vers le sud-ouest de l’Ecosse. Poète, guerrier, suprême juge du nord, il résista de toutes ses forces à l’introduction du christianisme. Vaincu, persécuté, il se retira dans les forêts de la Calédonie, emportant avec lui le dernier soupir des druides qu’il exhala dans ses chants. Un sombre mysticisme réchauffé au soleil couchant des religions de la nature en fit une sorte de Jérémie celtique. Comme on lui attribuait le don de lire dans l’avenir, ses oracles restèrent et firent autorité. Plus tard, quand on avait besoin de nouvelles prédictions pour ranimer le sentiment national, on faisait parler le prophète du fond de sa tombe[2]. Après lui, Meigant, dont il reste une élégie sur la mort de Cyndylan, prince de Powys, et Llywarch Hen ferment le cycle barbare. Ce dernier vivait de 550 à 640 et mourut, dit-on, à l’âge de cent cinquante ans, près de Bala[3].

La seconde période de la littérature welshe s’étend depuis 1120

  1. Soixante-dix-huit poèmes ont été imprimés sous le nom de Taliesin dans l’Archaiology of Wales. Ce sont pour la plupart des élégies, des chants épiques et religieux. Il a laissé beaucoup de maximes, entre autres celle-ci : « une noble naissance est la plus déplorable des veuves quand elle n’est point fiancée au mérite. » On lui attribue aussi une prédiction célèbre qui s’adressait à tous les Celtes de la Grande-Bretagne « leur dieu ils continueront d’adorer; leur langue ils conserveront; leur terre ils perdront, à l’exception du sauvage pays de Galles. »
  2. Les deux poèmes attribués à Merddhyn le Calédonien, l’Avellenau et le Hoianail, ont été traduits en anglais par Jones dans Poetical and musical Relies of the Welsh Bards. Londres, 1794.
  3. Llywarch Hen, c’est-à-dire « Llywarch le Vieux, » est après Taliesin le poète de la première période dont il reste le plus de fragmens. Ses poèmes ont été traduits en anglais sous le titre de Heroic Elegies of Llywarch Hen, prince of the Cambrian Bretons.