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quand sur le dernier accord le rideau tombe, vous seriez presque tenté de lui dire comme cette maîtresse de maison à un poète qui venait de lire une tragédie en cinq actes, quelque Véronica Cibò peut-être : « Vertuchoux ! monsieur, que vous devez être fatigué ! » L’auteur de la Duchessa di San-Giuliano, s’il n’est maître de chapelle, occupe au Théâtre-Italien l’emploi de second chef d’orchestre. Il n’est point à supposer qu’aucun paragraphe de son engagement porte qu’il aura du génie et composera des partitions. Croyons plutôt que c’est l’occasion qui l’aura tenté. Étant de la maison, il a profité du moment pour lâcher le rossignol qu’il tenait en poche. Qui voudrait l’en blâmer ? D’ailleurs, prise au particulier, cette musique n’est point absolument sans mérite. Elle n’a ni l’originalité, ni la couleur, ni le trait, mais la période italienne s’y développe avec une certaine aisance. Pour les chanteurs comme pour l’orchestre, elle est avantageuse. J’entendais naguère un honnête homme fort imbu des idées de M. Michelet louer très sincèrement un ecclésiastique de ce qu’il n’apportait pas le trouble dans les familles, il faut reconnaître à cette musique la même vertu négative : elle ne gêne point le virtuose, n’apporte pas le moindre trouble dans ses habitudes. La superbe voix de Fraschini, son grand style s’y meuvent très librement ; Delle Sedie, dès son entrée, y rencontre une phrase du pathétique le plus onctueux ; Mme Charton-Demeur, costumée comme un portrait du temps, y trouve des accens de tragédie, et la touchante romance du troisième acte fournit à Mme Méric-Lablache un motif tout disposé d’avance à se prêter à l’expression d’une belle voix. Si Donizetti et Verdi n’existaient pas, M. Graffigna les aurait inventés ; mais comme le malheur pour lui veut qu’ils existent, il s’est tout simplement proposé de tirer de leurs ouvrages le meilleur parti possible et d’utiliser en compositeur, en maestro, tout ce que le chef d’orchestre en avait appris et retenu.

Quel charmant spectacle de marionnettes, dans le meilleur sens du mot, que ce Crispino e la Comare des deux Ricci ! La Patti seule y manque, la jolie poupée ! Si vous aimez l’ancien opéra bouffe italien, cette musique abondante, joyeuse, triviale, mais dont la trivialité même a le tempérament d’un peuple artiste, allez entendre Zucchini dans ce rôle de savetier-médecin, et vous rirez, vous vous délecterez comme à Molière. Le trio des médecins qui se chante au deuxième acte dans la boutique du pharmacien Mirobolino vaut tous les chefs-d’œuvre du genre. C’est plus gai, plus franc du collier que Rossini, il faut pour trouver le vrai modèle, l’ancêtre, remonter à Cimarosa. Et la cavatine de la fritola, quelle verve, quel entrain de bon aloi ! Une cavatine pour chanter la friture, et dans la bouche d’une jolie femme encore ! il n’y a qu’un opéra écrit pour Venise où de tels amalgames se rencontrent ; mais là cette galimafrée en plein air va si bien à la musique bouffe, la Frezzaria est si près de San-Benedetto ! Il semble parfois qu’on ait mis le feu aux quatre coins de la ville, vous vous demandez : qu’y a-t-il ? C’est tout simplement des oranges, des figues, des