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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/27

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démarque ou maire de son village, aux environs de Sparte, et j’avais pris en sa compagnie la route qui conduit de Gythium à Lacédémone. Le dernier jour de notre course, nous nous arrêtâmes sur un plateau qui dominait une immense étendue de pays. À ma gauche, j’avais la spacieuse vallée de Sparte, à mes pieds le Magne, qui se déroulait jusqu’aux plus lointaines limites de l’horizon. Je contemplais avec admiration tout cet ensemble merveilleusement pittoresque de montagnes, de rochers, de vieux châteaux, dont les silhouettes, brusquement accidentées, se dessinaient à mes yeux avec cette magie de couleurs et cette netteté de contours que la limpidité et la transparence extrêmes du ciel de Grèce prêtent au paysage. Mon compagnon continuait à m’entretenir des traits les plus saillans de l’histoire moderne du pays que je venais de parcourir. Il me faisait pour ainsi dire toucher du doigt chaque épisode de cette histoire, en me montrant, du site élevé où nous nous trouvions ici le pyrgos incendié, là le village détruit, plus loin la forteresse éventrée par les bombes turques, ailleurs l’étroit défilé héroïquement défendu à plusieurs reprises par quelques centaines d’hommes contre les nombreux soldats d’Ibrahim. Comme je déplorais devant lui les ravages causés par tant de guerres sur la population ainsi que sur les anciennes et nobles familles du Magne : « Qu’importe ? me répondit-il avec une fierté vraiment Spartiate ; ceux qui restent sont libres. »


II

Un petit nombre de traditions confuses, quelques passages d’un chroniqueur franc où sont mentionnés les efforts des croisés pour subjuguer les in domptables tribus du Magne, tels sont les seuls documens que l’on possède sur la première époque de l’histoire des Maïnotes. Séparées du monde d’un côté par la mer, de l’autre par les rochers et les abîmes qui leur servaient de rempart, ces tribus ne conservèrent des Spartiates que les coutumes barbares et les aptitudes guerrières. Ce n’est même que fort tard, sous l’empereur Basile Ier (867), qu’elles renoncèrent définitivement au culte des idoles et qu’elles reçurent le baptême[1]. S’il faut en croire les Maïnotes, le nom que porte leur pays[2] vient de la fureur avec laquelle ils ont constamment défendu leur liberté et leur autonomie contre toute invasion étrangère. C’est parmi eux que les croisés

  1. Constantin Porphyrogénète, de Adm. Imperii, part, IV, p. 135.
  2. ) Malna, du mot grec μανία, fureur, démence. Rulhière, lui, pense que le nom de Magne ou Maïna, inconnu dans l’antiquité, dérive du nom de l’ancienne Messénie ou Messania, défiguré par les syncopes barbares qui ont altéré la plupart des anciennes dénominations (Histoire de l’Anarchie de Pologne, t. III, p. 329).