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de plus curieux encore que l’invention dans le Prêtre marié, c’est le style. M. Barbey d’Aurevilly, qui est un critique tout aussi bien qu’un romancier, et qui fait la leçon aux autres, pourrait à la rigueur commencer par se faire la leçon à lui-même. Quand il émaille ses pages de patois normaux, bien encore ; on se dit que c’est du normand, et avec un petit effort on comprend à demi-mot ; mais le difficile est justement de comprend quand l’auteur parle la langue française. M. Barbey d’Aurevilly a une variété de mots nouveaux et d’images étourdissantes qui produisent le plus singulier effet : il vous dira par exemple que Sombreval pressait sa fille sur son cœur « avec une irrévélable angoisse, comme un homme blessé qui perdrait ses entrailles et les retiendrait avec sa main. » Il vous assurera que le nom de Calixte, — la fille du prêtre, — faisait le silence d’une église devant le saint-sacrement, dans son cœur. » Il prodiguera des phrases comme celle-ci, en parlant toujours de cette merveilleuse jeune fille : « Frappée aux racines de son être par la pile de Volta du front de son père, son visage, surhumainement pâle, ne pouvant plus pâlir, se rosa… » Et tout de suite. Le Prêtre marié est écrit de ce style qui, je l’avoue, pourrait bien n’être pas plus catholique que littéraire malgré la prétention qu’a l’auteur d’être le chevalier du catholicisme et de l’art. est-ce bien là vraiment de la littérature ? M. Barbey d’Aurevilly le croit sans doute. Ceux qui auront lu son dernier roman s’en souviendront longtemps et ne seront pas tentés de le relire.


F. DE LAGENEVAIS.


ESSAIS ET NOTICES.

MARIE LECZINSKA d’après de récentes publications[1].


Qui de nous, en visitant Versailles, n’essaie de rendre par l’imagination le mouvement et la vie à ces brillantes solitudes ? Lorsqu’on parcourt la galerie des portraits, on regrette qu’elle ne soit pas plus riche et plus complète encore. Les souvenirs se pressent en foule, et la curiosité surexcitée devient plus active. Un pareil sentiment est aujourd’hui comme l’aiguillon des études historiques sur le XVIIIe siècle, et cette époque intéressante, que l’on croyait si bien connaître, s’éclaire chaque jour de nouvelles lumières. On entre dans les moindres détails, on pénètre les plus intimes

  1. La Reine Marie Lecsinska, étude historique, par Mme la comtesse d’Armaillé, née de Ségur. — Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulié.