Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/664

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est pas ici de la conjecture. Les listes de rois, soit grecques, soit égyptiennes, sont pour l’époque dont il s’agit en parfait accord les unes avec les autres. Qu’on veuille bien consulter le Kœnigsbuch de M. Lepsius, on n’aura nul doute sur ce point. Ainsi à une date où la conscience nationale de la Grèce et celle de la Judée n’existent qu’en germe, où Ninive et Babylone ne sont pas encore entre les mains des races qui feront leur puissance, l’Égypte est en pleine possession d’elle-même, que dis-je ? en un état de maturité voisin de la décadence. L’histoire positive nous permet du reste de remonter bien au-delà.

Avant la dix-huitième dynastie en effet s’étend une période dont le caractère est parfaitement connu. C’est l’époque des Hyksos ou « pasteurs, » époque d’invasion violente et de conquête. L’Égypte, comme la Chine, reçoit des hordes d’étrangers, les absorbe, se les assimile, leur impose avec le temps ses institutions et ses lois. On pouvait soupçonner tout cela avec les seuls textes grecs ; les fouilles de M. Mariette à Sân (Tanis) ont répandu sur ces siècles obscurs un jour inattendu. Nous avons sans doute des monumens des pasteurs dans ces colosses étranges, dans ces sphinx aux formes toutes particulières, dont une partie est déjà au musée de Boulaq. L’origine sémitique des Hyksos a été mise dans une évidence de plus en plus frappante. Il n’est pas permis de parler de synchronismes rigoureux pour une époque si reculée. Peut-on oublier cependant que le grand mouvement des peuples sémitiques du nord de la Mésopotamie vers la Syrie et l’Arabie paraît s’être opéré vers ce temps, que c’est vers ce temps qu’il commence à être question d’Hébreux, de Phéniciens, enfin que le passage des Israélites en Égypte répond au règne des Hyksos ? Peut-on oublier surtout ce curieux synchronisme établi au chapitre XIII des Nombres, v. 22, entre la fondation d’Hébron et celle de Sân ou Tanis ? La conquête des Hyksos semble n’avoir été que le contre-coup du mouvement qui jeta sur la Syrie et l’Arabie ces peuples nouveaux. Pleins de force et d’élan, ils auront momentanément conquis à leur profit la vieille civilisation égyptienne ; mais celle-ci les aura conquis à leur tour, et, retrouvant elle-même toute sa force, elle aura repris sa revanche durant la brillante période dont nous parlions tout à l’heure, et dont les vestiges se sont conservés dans la plaine de Thèbes avec un éclat sans égal.

Manéthon évalue la durée du règne des pasteurs à cinq cent onze ans, ce qui porte leur entrée en Égypte à l’an 2200 environ avant-Jésus-Christ. Il n’y a pas une ombre de raison de douter de ce chiffre ; mais qu’on le réduise si l’on veut, il faudra toujours placer avant l’an 2000 tout un vieil empire ayant duré des siècles. Manéthon