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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/676

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l’architecte a assemblé les pierres comme elles lui venaient de la carrière, au jour le jour, sans s’occuper de celles qui lui arriveraient le lendemain, faisant les lits comme il le pouvait, calculant si peu d’avance qu’à chaque instant il aboutit à des impasses, d’où il sort par des moyens désespérés. Ces édifices, dont l’importance scientifique est de premier ordre, trahissent une époque où l’architecture est déjà un art gâté, c’est-à-dire où la perfection de l’exécution passe pour une chose secondaire, une époque, dis-je, qui bâtit pour l’effet, bâtit à tout prix, sans trêve ni repos, et qui par cela même se résigne à bâtir mal. L’architecte croit son but atteint, si l’édifice tient debout ; le scrupule, cette condition de la perfection dans tous les arts, lui est inconnu ; le choix, l’assemblage irréprochable des matériaux lui paraissent des choses insignifiantes : c’est de la décadence ; mais aux pyramides il en est tout autrement. Grâce à M. Mariette, cet ensemble, depuis si longtemps connu et admiré, s’est augmenté d’un inappréciable monument, que je mets pour ma part en tête des résultats dont l’archéologie égyptienne s’est enrichie depuis un demi-siècle.

Vous connaissez par de nombreuses photographies, en particulier par celles de M. Maxime Du Camp, ce sphinx gigantesque, ou, pour mieux dire, ce rocher taillé en sphinx dont la tête se dresse si bizarrement dans la petite vallée qui est au pied de la grande pyramide. Qu’était-ce que ce « père de la terreur, » comme l’appellent les Arabes ? Il était évident, avant toute recherche, que ce n’était pas ici un accessoire, un simple décor d’un autre édifice. Ce sphinx en effet est isolé ; il existe par lui-même et pour lui-même. Une assertion de Pline, qui s’est trouvée n’être qu’une grosse bévue, tendait à faire croire que dans l’épaisseur du monstre était enseveli un prétendu roi Armaïs. Cela était étrange et peu croyable. Quelques relations modernes néanmoins parlant de chambres trouvées dans le sphinx, un homme dont le nom est mêlé à presque toutes les grandes découvertes archéologiques de notre siècle, M. le duc de Luynes, invita M. Mariette, alors au début de ses travaux en Égypte, à fouiller à ses frais en cet endroit. Le résultat fut la découverte, à 20 ou 30 mètres sud-est du sphinx, d’un vaste temple, absolument différent de ceux que l’on connaît ailleurs. L’édifice n’est encore déblayé qu’à l’intérieur. Cet intérieur, qui rappelle beaucoup la chambre de la grande pyramide, est en forme de T. L’aile principale est divisée en trois travées, l’aile transversale en deux. Les murs sont revêtus de granit rouge ; les architraves, en albâtre, posent sur des piliers carrés, monolithes en granit rose. Pas un ornement, pas une sculpture, pas une lettre. Quelle confirmation frappante de ce passage du précieux traité « de la déesse de