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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/85

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les habitans de Whydah. L’origine de cette étrange religion doit remonter à une époque lointaine : Bosman, au commencement du siècle dernier, en parle, à peu de chose près, comme pourrait le faire un voyageur contemporain ; elle s’adapte d’ailleurs à merveille à l’épais matérialisme de ces races pour qui l’invisible ne saurait exister, et chez lesquelles, plus particulièrement qu’ailleurs, c’est à la crainte qui fait les dieux. »


Nous ne suivrons pas l’érudit voyageur dans ses considérations sur l’ophiolâtrie des anciens, les psylles de Rome, la secte chrétienne des ophites, Moïse et son serpent de bronze, le dragon de Babylone et le Thermutis égyptien. D’autres soins nous réclament, car l’heure est venue pour lui de quitter Whydah, où il avait dû attendre l’arrivée des eunuques (akho’si)[1] dépêchés par le roi pour servir de guides au représentant de sa « bonne sœur » Victoria. Huit autres grands officiers de la couronne faisaient partie de l’escorte. Leur lettre de créance consistait en un casse-tête de fer, tant bien que mal façonné, dont l’extrémité figurait à peu près une gueule de requin. Prétextant qu’ils avaient besoin de repos, ils firent perdre encore une semaine à M. Burton, qui, se lassant à la fin de leurs ajournemens continuels, fixa lui-même le jour du départ, et les décida ainsi à se mettre en route. Vingt-deux porteurs, devançant la caravane, s’étaient déjà rendus à la première station avec les bagages les plus pesans, et allaient être suivis de trente-sept autres. Le service des hamacs de voyage, au nombre de six, exigeait trente hommes de plus : total quatre-vingt-dix-neuf bouches à nourrir, y compris les messagers et les guides, mais sans compter les interprètes et les domestiques attachés à la personne du voyageur.

Le convoi, précédé de l’étendard de Saint-George, que portait un métis de la côte d’Or, à la fois tailleur et barbier, s’ébranla définitivement le 13 décembre. Le révérend Bernasko, chef de la mission protestante de Whydah, et un chirurgien de marine, le docteur Cruikshank, s’étaient volontairement adjoints au capitaine Burton ; le premier traînait après lui quelques-uns de ses catéchumènes, affreux négrillons esclaves que le roi lui avait donnés à convertir. À travers sables et marécages, prairies désertes et terres cultivées, on allait d’étape en étape, recevant partout le même accueil. À Savi, ancienne capitale du petit royaume de Whydah (lorsque celui-ci n’avait pas encore été conquis par les maîtres du Dahomey), à Savi, disons-nous, comme dans la ville frontière d’Allada, comme dans la bourgade la plus insignifiante, la population était sur pied tout entière, moins ceux que le désir d’assister aux « coutumes » avait attirés du côté de la capitale. Les caboceers en habits de fête,

  1. Akho’si, mot à mot « femmes du roi. »