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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/86

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installés dans leur fauteuil officiel et sous le parasol symbolique qui les signale au respect de la foule, avaient préparé les rafraîchissemens et présens requis pour la circonstance. Sur une table boiteuse, revêtue de calicot rouge ou blanc, s’étalaient, à côté d’une jarre d’eau pure (boisson qu’on doit avaler la première), une calebasse d’huile de palme, un bol de rhum, d’eau-de-vie ou de vin muscat, des paniers d’oranges et de papeaux[1], des fèves, des ignames, à côté de l’akansan, ou « blanc de maïs, » qu’on sert entouré de feuilles, et qui remplace le pain. Lorsqu’après force complimens ces présens étaient échangés de part et d’autre, — c’est-à-dire quand « l’homme blanc » avait remboursé en liqueurs spiritueuses quatre ou cinq fois la valeur des bagatelles qu’on lui offrait avec une munificence dérisoire, — les danses guerrières commençaient au bruit d’une musique enragée. Nul doute que ces pyrrhiques sauvages ne missent à une rude épreuve les yeux et les oreilles de l’infortuné diplomate. Il les décrit cependant avec la plus minutieuse et la plus méritoire exactitude, entre autres celle qu’il appelle la decapitation-dance (autant vaut dire le ballet du coupe-tête), chef-d’œuvre de la chorégraphie dahomienne. Il consiste, — son nom l’indique assez, — à représenter aussi fidèlement que possible le triomphe du guerrier qui décolle tout à loisir son ennemi hors de combat. Quant aux souffrances que durent lui faire endurer les chœurs succédant aux chœurs, les cymbales, les cloches, les tamtams alternant avec l’éclat des voix stridentes et le roulement assourdissant des tambours, c’est à peine si M. Burton ose y faire de temps à autre quelques lointaines allusions, où il trouve moyen, — épigramme sanglante, — de glisser le nom du maestro Verdi.

Après quatre journées de marche, le voyageur rencontra ces marais d’Agrimé qui, de loin, lui semblaient si terribles, et qui, placés à la frontière nord du royaume d’Allada comme un infranchissable rempart, servirent longtemps à le préserver des invasions dahomiennes. Ici le hamac devenait inutile. Ce véhicule, presque toujours incommode, exige chez les nègres qui vous portent sur leurs têtes, non sur leurs épaules, un équilibre, une sûreté de marche qu’ils ne sauraient garder quand, au lieu de la terre ferme, ils ont sous les pieds une boue molle et glissante. Il fallut donc, un bâton à la main, suivre l’étroite et sinueuse chaussée que fit construire jadis (de 1774 à 1789) le sixième roi de la dynastie actuelle[2].En somme néanmoins, la traversée eut lieu sans des difficultés excessives, et le plus fâcheux souvenir de ce passage à travers les fanges

  1. Fruits du papayer.
  2. Sin-Menken, que les historiens du Dahomey ont appelé jusqu’ici Adhonzou II.