Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Mais faut-il être abandonnée ?
Une enfant., » Comprend-on cela ?
Avant-hier, dans la journée,
Elle jouait… et là voilà !

« Et si câline et si gentille,
O mon trésor, ô mon amour !
Moi qui la grondais l’autre jour !…
O ma chère petite fille !

« Elle allait avoir ses huit ans,
Ces choses-là sont bien étranges…
Pourquoi nous prend-il nos enfans,
Le bon Dieu, puisqu’il a ses anges ? »

Et toujours plus vite en montant
(Cette montée est un calvaire),
Les hommes marchaient, et la mère
Toujours suivait en haletant :

« Comme s’il n’en était pas d’autres,
Des petits riches, ceux enfin
Des gens dont le cœur n’a pas faim,
Sans aller nous prendre les nôtres !

« Ah ! je ne t’aimais pas assez !
Tous nos bonheurs sont fait de même ;
Quand on les voit, ils sont passés…
C’est toujours après qu’on les aime.

« Sa mère est morte en la laissant,
Puis c’est mon fils qui l’a suivie,
Et voilà son tour à présent !
C’est par morceaux qu’on perd la vie.

« N’est-ce pas de quoi blasphème !
Quoi ! Dieu vous dit de les aimer,
À les aimer on s’habitue,
Et quand c’est fait, il vous les tue !

« Mais tu ne m’as pas dit adieu,
Mais je te vois encor sourire,
Tu n’es pas morte, on a beau dire,
Ce n’est pas vrai, Mon Dieu ! mon Dieu ! »

Et le convoi tourne l’allée.
Le cœur en sang, les yeux en eau,