Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du crime, » n’était plus, au IVe siècle, qu’une bourgade sans importance, oubliée même des itinéraires.

A leur passage par la montagne d’Éphraïm, les voyageurs saluèrent, de loin le tombeau de Josué et celui d’Éléazar, fils d’Aaron. Éphraïm, Benjamin, Bethel, Rama, qu’ils traversèrent, Gabaa, qu’ils avaient déjà traversée en venant de Joppé, tous ces lieux rappelaient la sombre tragédie du lévite et son sanglant dénoûment. Chaque pas qu’ils faisaient semblait réveiller quelque incident de ce drame affreux. Là, la femme violée par les Gabaonites était morte sous les outrages ; ici, le lévite avait placé le cadavre sur un âne pour l’emporter à sa maison ; plus loin, il l’avait dépecé en douze morceaux envoyés aux douze tribus d’Israël, comme un appel à la vengeance. La vengeance ne s’était pas fait attendre, et sur le sol qu’ils parcouraient la tribu de Benjamin avait subi, disaient-ils, la juste extermination due à son crime. « Non, non, interrompait Jérôme, elle ne fut pas exterminée ; Dieu ne le voulut pas, parce que de Benjamin rentré en grâce et régénéré devait sortir Paul, le grand apôtre des nations. » Il exposait alors comment six cents hommes échappés au massacre se réfugièrent dans le désert de Remmon, et comment, rappelés dans leur patrie, ils durent employer la violence et le rapt pour avoir des femmes des autres tribus, aucune fille ou femme benjamite n’ayant survécu au désastre de la sienne. On leur montra en effet à Silo les ruines d’un autel près duquel deux cents jeunes filles, attirées par une fête nationale, avaient été enlevées, au milieu des danses, par deux cents Benjamites, et arrachées à leurs familles. La ressemblance de cette histoire avec celle des Sabines, enlevées aussi dans une fête, fut de la part des voyageurs un objet de savantes remarques, et peut-être alors quelque aiguillon d’orgueil mondain entra-t-il au cœur des pieuses patriciennes, dont la lignée allait se perdre dans les obscurités du berceau de Rome.

Ce grave sujet les occupait probablement encore lorsqu’ils arrivèrent au puits de Jacob, puits fameux où Jésus, assis sur la margelle, fatigué et altéré, échangea avec la Samaritaine, pour un peu de l’eau qu’elle avait puisée, « la source de vie qui désaltère à jamais. » Autour et au-dessus de ce puits, creusé dans le roc à une grande profondeur, avait été construite une église en forme de croix, où les voyageurs entrèrent : l’orifice du puits, bien gardé d’ailleurs, était béant près de la clôture du chœur, et on n’en approchait qu’avec un saint frémissement. Au dehors se trouvait une piscine alimentée par la même source, et à quelques pas plus loin des platanes que la tradition faisait remonter jusqu’à Jacob. La route, en un court espace de temps, conduisait du puits à l’antique ville de Sichem, appelée sous la domination romaine Flavia Neapolis, en