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liaires, accoutumées à fuir, mais tout ce qu’il y avait de plus aguerri et de plus brave, les Albanais, les spahis, qui sont le bouclier et l’épée de l’empire ottoman. »


VII

Telle fut cette célèbre bataille de Saint-Gothard, la plus grande et la plus éclatante victoire que les troupes chrétiennes aient remportée en rase campagne sur les musulmans. On voit que, malgré toutes les précautions prises par Montecuculli, malgré le nombre et le choix des troupes, l’émulation des alliés, elle courut grand risque d’être perdue. Les rivaux de Montecuculli lui reprochèrent de s’être trop longtemps obstiné à conserver son ordre de bataille, de n’avoir pas compris assez vite que la vraie partie se jouait dans le cercle formé par le repli du Raab, et qu’on pouvait dès lors dégarnir les ailes sans danger. Il répond à ces critiques par des argumens et des exemples dont je ne suis pas juge, et qu’on lira avec intérêt dans ses commentaires. Cependant il reste bien dans l’esprit que, si l’ordre de bataille avait été très sagement conçu et répondait à ce qu’on pouvait, avant l’engagement, prévoir des dispositions des Turcs, un génie plus rapide eût vu dès le début le point décisif, et eût modifié son plan en conséquence ; mais la tactique sage et raisonnée de Montecuculli ne voulait pas d’inspirations à la guerre. Il ne faut pas oublier d’ailleurs qu’il commandait à des troupes auxiliaires, qu’au lieu de la netteté et de la rapidité du commandement militaire il fallait délibérer, et persuader premièrement, comme il le dit, des généraux étrangers et rivaux. Dès lors tout changement dans le plan d’abord adopté pouvait amener le désordre et une confusion irrémédiable. Les troupes de l’empire étaient des soldats sans discipline et ramassés au hasard. Enfin une bataille perdue livrait l’Autriche et la capitale aux armes de l’ennemi. Il eût été téméraire de laisser la moindre prise au hasard avec des instrumens si compliqués et dans une situation si périlleuse. Il est certain, comme il le dit, que les critiques sont faciles après l’événement, « parce qu’on peut toujours assurer que ce qui n’est pas arrivé ne pouvait pas arriver ; mais, si le mal était venu, continue-t-il, si nous avions été enveloppés faute de nous être étendus, il n’eût servi de rien de se repentir ou de rejeter la faute sur celui-ci ou sur celui-là. Il faut savoir, entendant tout, ne pas préférer les murmures de la populace ou même des généraux au salut de l’armée et de l’empire. » C’est ce qu’il fît. Il n’y a pas à recommencer un procès sur lequel la victoire a prononcé. Pour qui n’est pas du métier, le bon général est celui qui gagne la bataille.

Les émotions de la journée avaient été grandes ; les troupes