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Dans la Chasse au héron (Algérie), je revois cette finesse de coloris et cette élégance de mouvement qui distinguent M. Fromentin entre tous les autres ; mais le paysage n’est-il pas plus français qu’algérien ? Les veines les plus riches s’épuisent lorsqu’elles ne sont pas renouvelées à temps. Voilà bien des années déjà que M. Fromentin peint de souvenir ; sa mémoire, quelque profonde que soit l’empreinte qu’elle ait reçue, n’aurait-elle pas besoin d’être rafraîchie par l’aspect même des lieux qui l’ont frappée jadis ? Si j’étais à la place de M. Fromentin, je n’hésiterais pas, et j’irais demander à l’Orient les forces nouvelles qu’il n’a jamais refusées à ceux qui savent l’interroger. D’un nouveau voyage nous verrions revenir quelque équivalent au Berger kabyle, qui est encore jusqu’ici l’œuvre la plus importante de M. Fromentin. Lorsque Antée se sentait épuisé, il touchait la terre et reprenait sa vigueur. Dans cette vieille historiette, il y a un enseignement dont il faut savoir profiter.

Je ne veux point quitter l’Algérie sans parler de M. Huguet, qui en rapporte deux agréables tableaux, exécutés dans un joli sentiment de la vérité. C’est gris de perle, clair, lumineux, et d’un aspect vivant où l’on reconnaît la nature prise sur le fait ; on peut reprocher à l’artiste d’avoir trop étendu ses premiers plans, ce qui nuit à l’exactitude de la perspective. Les figures sont plutôt indiquées que terminées. Il est facile de voir que M. Huguet se défie encore de lui-même, car sur les treize personnages que montre sa Caravane, un seul laisse apercevoir son visage de profil perdu ; tous les autres cachent leurs traits avec un soin trop jaloux pour n’être pas volontaire. Quoi qu’il en soit de ces critiques de détail, l’impression de l’ensemble est bonne ; les colorations sont justes, les rapports du terrain et des étoffes sont régulièrement observés ; si M. Huguet veut consentir à serrer sa manière et ne pas se contenter d’un à peu près, il pourra nous montrer des tableaux remarquables et dignes d’être loués sans réserve.

Contrairement à M. Huguet, M. Edmond Bédouin n’a pas reculé devant la minutieuse exécution des personnages qui se promènent dans une Allée des Tuileries. C’est un charmant tableau, tout moderne, éclairé par de jolis effets de soleil, et qui serait irréprochable si les arbres n’étaient peints d’une brosse plus molle qu’il ne convient. Ils semblent appartenir à la convention plutôt qu’à la nature, et par leur facture trop lâchée ne s’harmonisent pas avec les figures, qui sont traitées de main de maître. Profitant de l’éclat des modes actuelles et les utilisant au point de vue pittoresque, M. Bédouin a représenté une allée des Tuileries, telle que nous pouvons la voir tous les jours, avec les jeunes élégantes qui viennent y faire admirer leur toilette, les enfans qui jouent, les vieillards qui cherchent