tribué aussi à faire goûter la poésie des hautes régions. Il y a une quarantaine d’années, la littérature s’est violemment soustraite au joug des traditions classiques. À la suite de Shakspeare et de Goethe, elle s’est complue aux émotions profondes, aux audacieuses percées sur l’inconnu, sur l’infini. Quoi qu’on ait dit, les âmes étaient vraiment envahies alors par une secrète mélancolie, par un sourd mécontentement du présent, qui les soulevait au-dessus de la vie bourgeoise et journalière. L’école romantique a fait son temps, mais elle a laissé sa vive empreinte sur les hommes de notre époque. Or il est certain qu’à la nuance de sentimens qu’elle a développée devaient convenir les aspects des Alpes, l’austère solitude de leurs champs de glace, l’immensité de leurs horizons, la majesté des dernières cimes, les luttes grandioses des élémens, tout cet ensemble de spectacles nouveaux qui vous arrachent aux préoccupations égoïstes pour vous initier aux jouissances désintéressées d’un monde supérieur. Depuis que Schiller a évoqué aux bords du lac des Quatre-Cantons la grande figure de Guillaume Tell et que Byron a conduit son Manfred sur les plus hauts escarpemens de la Gemmi, un nombre sans cesse croissant de voyageurs s’empresse chaque été de visiter les Alpes. Töppfer et bien d’autres après lui se sont moqués de ce troupeau de touristes qui viennent, comme le dit l’auteur des Menus Propos, déflorer « l’antique Suisse, cette belle et pudique vierge dont, la beauté ignorée de la foule faisait battre le cœur de quelques vrais amans ; » mais pourquoi donc se plaindre de ce mouvement, qui a sa cause profonde dans les tendances les plus nobles de notre époque ? Si les hommes de la génération actuelle accourent en foule vers les montagnes, qu’on fuyait jadis avec épouvante, c’est que la science et les lettres les y ont conviés.
Grâce à ce goût, aussi général que nouveau, les massifs du Mont-Blanc et du Berner-Oberland ont été explorés en tous sens, et sont maintenant bien connus ; mais, naguère encore, il n’en était pas de même de la chaîne que domine le Mont-Rose. Depuis la visite de Saussure en 1789, ce magnifique groupe avait été complètement négligé, sauf les pentes méridionales gravies par le colonel von Welden, Zumstein, Parrot et le curé Gnifetti. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années que le côté septentrional a été abordé par les savans suisses Desor, Studer, Agassiz et Ulrich, et c’est plus récemment encore que les beaux travaux des frères Schlagintweit et les récits des touristes anglais en ont donné une description à peu près complète[1]. On s’est servi de ces différens travaux, en rappe-
- ↑ La bibliographie du Mont-Rose, sa littérature, comme diraient les Allemands, comprend déjà un certain nombre de publications parmi lesquelles plusieurs offrent un grand intérêt. Il faut citer en tête le magnifique ouvrage avec atlas de MM. Schlagintweit, Neue Untersuchungen uber die physicalische Geographie und die Geologie der Alpen ; puis M. Ulrich, Die Seitenthaler des Wallis und der Monte-Rosa ; — Desor, Journal d’une course aux glaciers du Mont-Rose et du Mont-Cervin (1840) ; — Briquet, Ascensions aux pics du Mont-Rose (1801) ; — A Lady’s tour round Monte-Rosa ; — The Tour of Mont-Blanc and of Monte-Rosa, by J. Forbes ; — The italian Valleys of the Pennine Alps, by rev. S. W. King ; — Mountaineering in 1861, by J. Tyndal F. R. S. ; — Peaks, passes and glaciers, by John Ball ; — Voyage dans les Alpes, par Saussure ; — Ludwig von Welden, der Monte-Rosa ; Gnifetti, paroco d’Alagna, Nozioni topographiche sul Monte-Rosa.