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s’ouvre sous vous à une profondeur de 9,000 pieds. La Cima-di-Jazzi est le seul endroit des Alpes où l’on puisse monter aussi haut avec aussi peu de périls et de fatigues. Il est une autre ascension plus facile et qui offre également une vue admirable, c’est celle d’un cône de rochers qui s’élève au pied du Cervin, le Hornli. A l’endroit où la vallée de Zermatt vient s’arrêter à la base de la grande arête des Alpes valaisanes, elle se bifurque, et ses deux branches, détachées à angle droit comme celles d’un T, se dirigent l’une à l’est, l’autre à l’ouest. Le fond de la première est occupé par le grand glacier de Gorner avec ses neuf affluens, et le fond de la seconde par le glacier de Zmutt, qui reçoit aussi sept affluens. Le Hornli est le point culminant du promontoire qui s’avance entre ces deux mers de glace. Le glacier de Gorner est le plus grand des Alpes après celui d’Aletsch : il mesure en superficie 50 millions de mètres carrés. On a constaté qu’il avance tous les ans d’environ une trentaine de pieds. La masse entière est poussée en avant[1] et gagne du terrain sur le beau pâturage où l’extrémité aboutit. Le glacier agit comme le soc d’une immense charrue écorchant la terre végétale et rasant les chalets qu’il rencontre. Toute la partie inférieure se hérisse en aiguilles magnifiques teintées de ce bleu verdâtre dont il est impossible de rendre la douceur. Le torrent, formé par la fonte des neiges, sort d’une voûte de glace, comme l’Arveiron et le Rhône. L’altitude est de 5,672 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le glacier de Grindelwald descend jusqu’à 3,940 pieds, et celui des Bois à Chamounix à 3,440.

Tandis que le glacier de Gorner ne porte presque point de débris de rochers sur ses vagues transparentes, le glacier de Zmutt en est, tout couvert. M. Ruskin en a parfaitement rendu l’aspect. « Pendant trois milles, dit-il, toute sa surface disparaît sous une couche de blocs de gneiss rougeâtre et d’autres roches cristallines feuilletées, les uns tombés du Cervin, les autres descendus du Weisshorn ou de la dent d’Erin. Ces pierres peu usées couvrent la glace d’une sorte de macadam de quatre à cinq pieds d’épaisseur. A mesure qu’on monte, la glace apparaît et s’étend en larges plaines blanches et en vallons à peine coupés de crevasses, sauf immédiatement sous le Cervin ; elle forme alors une sorte d’avenue silen

  1. Tous les glaciers se meuvent et descendent la pente du terrain sur lequel ils reposent avec une vitesse très appréciable ; mais a mesure qu’ils atteignent une zone moins élevée et plus chaude, l’extrémité se fond peu à peu. Si la fonte détruit plus de glace que le mouvement de descente n’en amène, le glacier recule ; dans le cas contraire, il avance. Certains glaciers avancent et reculent alternativement par périodes à peu près égales, comme le glacier d’Allelin dans la vallée de Saas. Tous gagnent du terrain pendant les années froides et on perdent durant les années chaudes.