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gera plus ou moins d’efforts, de luttes armées, de négociations diplomatiques ; mais, nous le répétons, elle, est simple, et elle doit réussir, parce qu’elle ne froisse aucun intérêt, parce qu’elle n’est contrariée, quant à présent, par aucune de ces complications religieuses ou internationales qui se rencontrent à chaque pas sur le terrain de la politique européenne, enfin parce que tous les peuples de l’Europe et de l’Amérique, si divisés ailleurs, se trouvent là réunis et ligués pour le même dessein et prêts à s’entr’aider jusqu’à ce que l’extrême Orient leur soit définitivement ouvert.

Les héroïques aventuriers du XVIe siècle couraient à la découverte et à la conquête violente des territoires : marins et soldats, ils s’emparaient des continens et des îles où le hasard portait leurs navires, et leur plus grande gloire consistait à donner à la mère patrie des millions de sujets répartis sur des espaces sans limites. L’ambition des peuples modernes procède différemment à l’égard de l’Asie. Elle ne cherche pas à s’emparer du sol ; elle ne désire point dominer sur des races vaincues. Ce qu’elle veut avant tout, c’est un triomphe à la fois moral et social, qui, laissant debout les nationalités, permette à la civilisation européenne de s’étendre pacifiquement sur des régions où la libre concurrence, substituée aux restrictions de l’ancien régime colonial, doit favoriser le développement du travail et l’échange des produits. L’Europe ne songe point à occuper des territoires en Chine ni au Japon ; elle ne prétend pas davantage y introduire par la force la religion chrétienne. Ni conquête ni conversion. Elle ne revendique que la loi naturelle et le droit commun. N’est-ce point là une entreprise plus légitime que ne l’était, au XVIe siècle, celle des audacieux conquérans du Nouveau-Monde ? Nous voilà engagés, non pas, comme au temps de Cortez et de Pizarre, contre des races débiles et inoffensives, mais contre des nations compactes, civilisées et armées. Si elle est plus difficile, la mission que notre siècle s’est attribuée est assurément plus généreuse et plus féconde, car elle aura pour conséquence non point l’asservissement d’une partie du monde, mais un grand bienfait assuré au monde tout entier par le rapprochement des races, par le contact des idées et par l’échange des produits.

Il importe donc de suivre attentivement les différentes phases de la révolution qui s’accomplit en Asie et d’étudier à mesure qu’elles se présentent les opérations militaires et diplomatiques par lesquelles l’Europe pratique chaque jour une trouée plus large dans les vieilles murailles de la Chine et du Japon. C’est ce qui nous engage à retracer ici l’historique de la dernière campagne entreprise contre le Céleste-Empire, campagne décisive qui a eu pour couronnement l’occupation de Pékin. Nous avons sous les yeux