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le militaire, et le militaire achevait le civil. Cela ne s’était pas vu depuis les Romains.

Dans cette assemblée d’hommes, le plus obscur a son jour d’immortalité. Quel est celui qui le 25 nivôse ouvre la séance ? Il paraît rarement à la tribune : c’est le plus jeune de l’assemblée, il n’a guère que vingt-six ans ; mais il sait agir et commander. C’est le médecin Baudot, presque toujours en mission là où il faut un cœur énergique, un œil d’aigle. Voyez comme il est encore couvert de la poussière du champ de bataille. Il en arrive le jour même, et il n’a pas encore quitté son costume demi-militaire de représentant aux armées. C’est à lui qu’a été réservé l’honneur de raconter la victoire de Geisberg ; aussi bien il y a eu sa part en prenant sur lui de donner le commandement en chef des deux armées à Hoche malgré Saint-Just, qui désignait Pichegru. Avec quelle rapidité héroïque il décrit cette bataille, d’où il sort : l’action sur un front de onze lieues ; les lignes de Wissembourg forcées, Spire enlevé, Landau repris, Lauterbourg, Kayserslautern, Frankenthal occupés, le Palatinat assuré, le Rhin conquis ! Grande date ! La révolution s’est donné sa frontière. « Mettez, dit Baudot, à profit le grand caractère de l’armée du Rhin et de Moselle. Vous la verrez commander la victoire. Notre première lettre annoncera de nouveau la défaite des rois et la grandeur de la république. » Pour tant de combats et de travaux, quelle a été la récompense de cette armée ? Baudot lit la proclamation qu’il lui a adressée ; la voici : « Républicains, vous avez fait votre devoir. » Quoi ! rien de plus ? Non. L’assemblée applaudit, les tribunes acclament ce langage de Spartiate ; le jeune représentant est déjà reparti.

À cette même tribune, encore retentissante des échos de Geisberg, David le peintre apporte le 27 nivôse ses conclusions sur le conservatoire du Muséum et le rentoilage des tableaux. Les vierges de Raphaël, du Corrège, défilent processionnellement après les bataillons du Rhin et de Moselle. Les paysages du Poussin, de Claude Lorrain, prennent la place des paysages ensanglantés du Hartz.

Enfin paraît Saint-Just. Il présidait en pluviôse pendant que l’on décrétait la loi sur le roulage et les transports. Aujourd’hui 23 ventôse il ouvre, il proclame la grande terreur. « Vous n’avez vu encore que les roses ! » Saint-Just promène l’épouvante sur tous les partis. Comme l’épervier qui paraît immobile et n’a pas encore trouvé la proie sur laquelle il veut fondre, il tient pendant deux heures la convention sous sa vague menace. Il ne conclut pas. Il met chacun en présence de lui-même, car il sait que la terreur, pour être un bon instrument de règne, doit d’abord entrer dans toutes les âmes. Personne n’excelle mieux que lui à tenir ainsi le