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majestueuses : celui-là se sentait, j’en suis sûr, devenu le chef de sa tribu, tant ses attitudes étaient théâtrales et ses cabrioles convaincues ! On eût dit le roi David dansant devant l’arche sainte. Voilà l’avenir de la race indienne : ce pauvre fou glorieux et le métis riant sous cape en personnifient assez bien les variétés. Ajoutez-y la bête fauve demi-nue qui meurt de faim, traquée dans les derniers déserts où les hommes, blancs la pourchassent, et vous aurez résumé les trois destinées possibles qui la conduisent également à la destruction.

Quand nous nous rembarquâmes, la plage, encombrée de curieux, et de mendians, offrait le spectacle le plus animé. Les femmes, drapées dans leurs robes et leurs châles de bure, donnaient à leurs pauvres vêtemens par l’assemblage hardi des couleurs un air de luxe sauvage. Les hommes eux-mêmes étaient affublés de parures brillantes : chemises rouges brodées d’étoiles, perles de verre, paillettes de cuivre, bottes estampées de dorures, toques enrubannées, rappelant la coiffure des anciens guerriers. Les enfans couraient demi-nus. Quelques familles montèrent en canot pour aller joindre le navire. L’une d’elles s’établit dans l’entre-pont, où elle me donna le plus joli spectacle. La mère, à demi indienne et suivie de trois petites têtes brunes malicieuses, portait dans ses bras un de ces petits crucifiés qui semblent ficelés dans une grosse pantoufle : celui-ci, un gros garçon plein de vie, au regard sauvage, étroitement lacé dans sa prison de laine, resta adossé contre un tonneau, près d’un gros paquet de câbles. Ce matin, le pauvre petit était tout mouillé de larmes, et l’on défit enfin les premiers nœuds de sa chaîne : il fallait le voir alors agiter avec bonheur ses petites mains prisonnières et ses petits bras engourdis…

À bord de la Planète, 21 août.

J’ai quitté à regret, non pas Sainte-Marie, mais les Anglais avec qui je m’y suis lié. Le bon ton, quand on le rencontre, procure toujours un bien-être extrême. Je ne le cherche pas dans la gigantesque baraque où je voyage avec cinq cents personnes étrangères. L’Américain aime à vivre en troupeau. Va-t-il à la campagne, il s’établit à Saratoga ou à Newport, dans le lieu le plus bruyant et le plus peuplé. A-t-il une ou deux semaines de congé, il s’embarque avec sa famille sur un de ces grands paquebots des lacs. Je n’aime pas cette cohue bariolée, cette familiarité de hasard avec le premier-venu. Sans doute il y a beaucoup de braves gens dans le nombre, mais c’est en vain que j’y cherche un semblable. Les femmes sont communes, salement ou pompeusement parées ; elles ont l’air de ces figurantes de théâtre dont les falbalas traînent sur